inactualités et acribies

Un homme curieux

4 Mai 2019 , Rédigé par pascale

                                  est-il un curieux homme ? celui-ci déconcertant, celui-là fureteur. Il se peut que les deux soient aboutés et notre homme singulier ou paradoxal ne l’est alors qu’en raison du caractère de ses fouilles et de ses recherches, matérielles ou immatérielles. Fatalement ce curieux risque de devenir à lui-seul une curiosité, et le monde occasions jamais assouvies de répondre à ce défaut que Saint Augustin réprouvait comme une manifestation de l’Orgueil, lui préférant la studiosité ; ce qui élimine de la curiosité toute dimension appliquée, attentionnée, au profit, si l’on peut dire, d’un désir mal contenu d’amasser choses et bibelots par boulimie elle-même mal retenue. Si la curiosité est la juxtaposition passive de tout ce qui touche à une question de manière extensive, dispersée et non ordonnée, elle relève à peine de la collection mais de sa déviation, la collectionnite.

     N’y aurait-il donc de curiosité studieuse, qui s’appliquerait non à en-tasser mais à ra-masser ou re-cueillir? ce qui suppose un projet, une intention, qui dépassent l’excitation de la simple trouvaille au profit d’une passion de la prospection, voire de l’enquête. Ainsi faut-il, probablement, envisager Clément Lafaille, amateur éclairé, comme on dit de nos jours, dans un siècle où la métaphore aurait fait tautologie, le 18ème. Sur cet homme clairvoyant, Denis Montebello nous dit tout dans le petit livre Un bel amas*, un livret qui chante harmonieusement les louanges de ce rochelais obstiné qui dévoua sa vie à trouver ce qu’il cherchait et ce qu’il ne cherchait pas, forcément.

    On ne sait pas comment ça commence une curiosité ni quand elle se fait fascination, ni surtout pourquoi les mollusques plutôt que les pierres précieuses, sinon qu’en bordure d’Océan il y a des ports, voilà pour les coquillages et autres animaux marins, et aussi des bateaux pour les objets revenus de loin. Ces pages** ressemblent à ce qu’elles racontent : comme il ne suffit pas d’empiler des choses pour en faire une leçon, il ne suffit pas de les énumérer pour en dire l’intérêt. Entrer dans le cabinet Lafaille, c’est aussi entrer dans une bibliothèque que l’on n’ose plus qualifier de virtuelle, tant mieux, il nous reste vertueuse. Denis Montebello nous la fait visiter, ses départements grecs, latins, allemands, sciences naturelles, légendes et religions… sans en avoir l’air. Le pittoresque, l’inattendu, l’anecdotique et l’historique se déploient avec la facilité des branchies ciliées d’un dail, étonnante huître-moule, moulhuîtrée, proche cousine de la pholade, comme chacun sait, n’est-ce pas ?

     Sentir le vent du large et de tous les lointains, qu’ils soient de temps ou d’espace jusqu’à nous faire croire que le Déluge a bien eu lieu, n’est pas la seule qualité de cet opuscule bien né ; nous y sentons aussi l’odeur d’encaustique et de vernis des armoires et autres commodes où sont arrangés autant que rangés les trésors rescapés de la petite histoire, celle de notre curieux curieux, et de la grande, celle de son siècle et même des suivants, car si tout vient bien de quelque part –paléontologie intuitive et empirique de notre héros– tout y va aussi –paléontologie positive et scientifique des héritiers et continuateurs.

    

A lire -et relire- ce carnet de singularités savantes et passionnantes -mention particulière pour les grammites, ancêtres lapidaires des formes alphabétiques- on plonge dans des abysses à plusieurs étagements : à commencer par celui de l’honorable, honnête et même remarquable savoir de Clément Lafaille et quelques autres*** évoluant dans l’ambiance d’une époque partagée entre commerces (y compris humains) et religion avec ce goût si particulier des contrées exotiques…  et une très subtile touche d’animisme mâtinée d’un rationalisme rudimentaire qui se veut, à l’époque, la pointe acérée de l’esprit scientifique. On s’en voudrait de dévoiler cet équilibre subtil que Denis Montebello a construit, comme une mise en abyme symbolique de l’univers lafaillien lui-même. Un passage réussi du monde inordonné des tas et des dépôts -chaos- au monde ordonné et même organisé d’un bel amas, disposition et signification. Et même mieux, signification de ces dispositions.

 

*Denis Montebello : Un bel amas, Le cabinet Lafaille, Muséum d’histoire naturelle de La Rochelle. Atlantique-éditions de l’Actualité Nouvelle-Aquitaine. A commander dans votre librairie préférée, s’il le faut avec insistance. ** 44 p. exactement en comptant les jolies photographies (comme toujours) de Marc Deneyer - petit format de poche au sens strict,11x14.5, je viens de mesurer. 9€ ; *** le sieur Dezallier d’Argenville notamment.

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D
Quand l'acribie érudite rencontre la curiosité pénétrante d'un Clément Lafaille -et celle, d'abord, de ses dails-, cela donne un petit bijou. Qui vient enrichir ma collection. Un immense merci, Pascale
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P
Avec plaisir et amitié.