inactualités et acribies

Aheurtement, obstination et pertinacité.

19 Juin 2020 , Rédigé par pascale

 

   Que vous soyez horsain, horsin, horsaine ou horsène aussi, vous n’êtes pas le bien venu surtout au début. Mais les choses peuvent s’arranger, il faut y mettre du vôtre, car votre position n’est guère meilleure que celle des Barbares dans la Grèce Antique, accusés et maudits avant tout de ne point parler grec, tout le monde sait cela. La violence barbare est linguistique. Qu’on se le tienne pour dit, c’est le mot !

   Aussi, si vouliez* favoriser puis entretenir des rapports amitieux avec les gens du cru, n’être point accusés d’être « étranger », horsain en Normandie, pour ne point parler son dialecte — conséquence implacable et têtue — il fallait faire un effort. Certes, vous n’auriez pas à savoir tout sur les moulins à foulon, à tan, ou à papier dont l’Orne et le Calvados s’enorgueillissaient encore au début du XIXème siècle (tout droit venus depuis le XIème siècle, des documents l’attestent) mais il fallait rapidement vous familiariser avec ces flexions de la langue d’oïl, ou plutôt leurs traces à ce jour demeurées. Juste rappeler, qu’en ces lieux de langage plus étroits, plus réservés, plus obscurs sous la bruine et les vents du nord, l’affaire est la même qu’en d’autres mieux connus. Le principe, le mécanisme, répondent à la même loi que l’univers tout entier, ne nous payons pas de mots : le plus fort a toujours raison, et le pot de terre et la cruche à l’eau se brisent sous les rudes coups du sort, lequel suit implacablement l’usage le plus répandu, serait-il le plus faux, serait-il le plus sot.

   Il peut paraître anodin, inutile, prétentieux, affecté ou bêcheur, de reprendre la rengaine. Mais, que celui qui s’en lasse se pose bien la question de savoir pourquoi ; pourquoi, plutôt que d’examiner ce qui, en lui, accepte si servilement le grégarisme linguistique, pourquoi préfère-t-il croire que ce n’est pas si grave, qu’il n’y a pas mort d’homme n’est-ce pas ? et que ça suffit de donner des leçons de morale ! Sauf à oublier que morale est justement le mot exact, puisqu’il désigne l’ensemble des comportements qui conviennent à un groupe homogène pour le maintenir dans cette homogénéité. Mores, les mœurs en latin, couvre tellement plus que ce que le terme morale signifie de nos jours. Passons. Et repartons, non sans proposer, avec un certain aplomb, j’y consens, que cette affaire chez moi obstinée et constante, relèverait d’une question de morale linguistique. Cela me va.

   Un âne est un quéton dans le nord de la Manche, un bouri dans le centre et un baudet dans le sud (de la Manche !), même s’il se trouve que certains termes passent les frontières, bouri, par exemple est largement utilisé dans certains coins de l’Orne, j’en atteste. Ça vous donne une idée de la motilité des parlers locaux ! Mais enfin, un âne est un âne me direz-vous. J’acquiesce. Je plussoie. Je confirme. Aussi, ce n’est pas l’animal qu’on modifie quand on dit quéton dans un cas et bouri dans l’autre, c’est un paysage, une géographie, un bestiaire, une mémoire. C’est une uniformité que l’on refuse, avec elle un arasement des subtilités, des nuances, des finesses, une incapacité à la perspicacité au profit d’un télescopage, un écrasement, un écrabouillage. Ce qui pourrait arriver au dernier d’une portée de porcelets — l’écrabouillage — selon qu’il est bedot, bedachon, clos-cul, quiachon, fertin ou chétrin, ah, mais ! par la puissance vertueuse de l’analogie — qui n’est point comparaison — pour les entêtés de la parole molle qui insistent à user non seulement de mots inappropriés, mais de n’importe quel(s) mot(s) prélevé(s)  par les hasards les plus paresseux d’un caméléonisme servile,  voire le reniement, pour certains, de leurs propres savoirs. Toute honte bue. Puisqu’il suffit de décréter qu’il n’y a pas faute pour effacer la faute, ni offense pour ne pas se pardonner, on n’est jamais si bien servi que par soi-même.

   Chacun a saisi que ce n’est évidemment pas l’ignorance de termes depuis longtemps inusités qui me navre, même si cela me navre ô combien ! L’oubli de certains relève parfois de circonstances non linguistiques : l’avaloir — partie du harnais qui permet de reculer un véhicule tiré par un cheval ou de le retenir dans les descentes — a disparu avec lesdits véhicules, tout simplement, si l’on peut dire ; mais, et ce n’est plus anodin, avec eux l’accès gourmand à certains textes déjugés pour cette raison. Qu’on réalise quand même, qu’on se prive ainsi de Colette**, de Sand, de Giono, de Maupassant (le Horla, le mot, probablement extirpé de horlain), de Allais, de Ponge, de Calet, oui, oui, parce qu’il n’y a pas que les mots de terroirs, de régions, d’époques, qui sont rejetés, oubliés, non enseignés, non visités, non appris. On recale les Quignard, Michon, Bergougnoux… Schwob, de Gourmont, Mallarmé, Cingria, Jankélévitch, Montaigne… et surtout on perd l’envie, on laisse tomber, on abandonne cette délicieuse disposition à s’ébaubir d’un mot qui luit, qui brille, qui joue une partition juste, harmonieuse, le solfège, la composition et l’exécution nous en seraient-ils inconnus.

   L’uniformité — qui est le contraire de l’élégance — par l’usage de mots convenus et conformistes pour tout et en toutes circonstances, la réplication systématique des éléments de langages politiques, administratifs, hiérarchiques, commerciaux et, dorénavant, dans un usage stupide et bêlant de syntagmes vaguement anglais dont il serait de bon ton de saupoudrer ses phrases, l’uniformité a gagné par le bas. Plus de liaisons audibles, plus d’accord, plus de synonymes, plus d’usage du passé simple, plus de concordances des temps ni des modes. L’imparfait du subjonctif est signe de mépris, le passé antérieur, inconnu au bataillon.

   J’ignorais, il y a peu, qu’une maison délabrée pût se dire crânière ou mésière, ici, cassine ou boucasse ailleurs, boucane ou calousse ailleurs encore. Mais la joie pure qui est mienne de le savoir dorénavant, de l’avoir noté, souligné, réécrit — peut-être de l’oublier jusqu’à le retrouver pour l’avoir consigné quelque part — cette joie pure demeurera tant que je pourrai en mes mains tenir un livre écrit dans le même plaisir des mots qui, à le lire, est le mien.

 

*non, ce n’est point oubli, mais coquetterie d’antan, "vous voulez" pèse ! 

** Colette, OC XIV (édition du Centenaire, p 56) : « utris », terme entendu un jour par C. dans l’expression « draps utris », elle écrit à ce propos : « Ici se plaçait ce qualificatif étrange dont je n’ai trouvé nulle part la signification ni l’orthographe. Je le suppose patois, je l’accuse d’être un brin méphitique, et même violacé. Son « s » au pluriel, est rigoureusement muet. Je ne sais rien de lui. »

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article
D
D'un lecteur ou cueilleur des "traces à ce jour demeurées".
Répondre
P
... qui font notre demeure d'être demeurées là...<br /> Merci Denis.