inactualités et acribies

Mélanges, miscellanées, miettes - XIV -

18 Décembre 2021 , Rédigé par pascale

 

Il faudrait remettre au goût du jour l’expression : pour tout potage, surtout en hiver.

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Un jour de Juin dernier, un Préfet de province prit un arrêté complémentaire qui donnait autorisation de tuer les blaireaux (aussi) de juillet à janvier, ce qui leur laissait février-mars-avril pour s’en aller voir ailleurs. Sinon, tout alentour des terriers, ils pouvaient dorénavant être traqués par des chasseurs qui, après avoir envoyé les chiens à l’intérieur pour les ramener dehors, les tueront. On ne connaît pas les motivations du Préfet pour avoir donné ce supplément de temps à la barbarie et la lâcheté, mais au moins cette absence d’explication servit à un Tribunal ad hoc pour l’annuler (le décret, pas le Préfet).

Combien y a-t-il de blaireaux dans ce département ? demandèrent les juges à qui l’on présenta des chiffres stables pour une période de cinq ans et une absence de troubles et de dégâts en soutien de la requête. Ils apprirent aussi – il fallait bien quelque procès en vénerie souterraine pour cela – que la période additionnelle autorisée par Monsieur le Préfet, qui montre là ses ignorances et son manque de curiosité, est celle de la naissance des blaireautins, voilà pourquoi les blairelles restent dans les terriers. Mais Monsieur le Préfet montre aussi sa méconnaissance du code de l’environnement dont l’article L.424-10 stipule clairement qu’il est interdit de détruire, d’enlever (…) les portées ou petits de tous mammifères dont la chasse est autorisée (…). On ne remercie donc pas Monsieur le Préfet pour ses carences, mais le juge qui le recala en raison de la présence de petits blaireaux.

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On lui fit apprendre le violon à 6 ans. Cela ne lui plut que relativement, aussi, il s’y remit plus tard. Les sonates de Mozart l’accompagnèrent ensuite toute sa vie. Il les interprétait lui-même avec grand talent, un enregistrement en témoigne. Son violon – daté de 1933 – fut mis en vente aux enchères en 2018. Je vous parle d'Einstein.

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Que certaines plantes soient adaptées à l’abondance des embruns, en fait des aérohalines. Ainsi les Fétuques.

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Comment peut-on savoir qu’on a vu un représentant d’une espèce animale pour la dernière fois, décidant que ce jour-là devient la date de sa disparition définitive ? Ainsi, le Pic à bec ivoire en avril 1944 en Louisiane. Ne pourrait-on avoir des formules plus précautionneuses et envisager avoir perdu espoir d’en revoir un spécimen vivant ? Mais faire coïncider la datation de sa disparition avec celle où on ne le vit plus est un renseignement faible, tout sauf fiable. Cependant, quelle que soit la date de l’extinction de la Paruline de Bachman, elle porte pour toujours un très joli nom ; d’ailleurs, il n’est pas absolument certain qu’elle ait disparu, il y a désaccord entre un seuil critique d’extinction déclaré il y a quelques années et sa … volatilisation.

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La pluie tient au centre de son nom, un petit récipient creux pour se recueillir elle-même.

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De la charité à l’orgueil, il n’y a souvent aucune différence, ce qu’on pourrait appeler évergétisme, en reprenant le nom d’une pratique par laquelle les notables riches de la Rome antique se devaient de dépenser une partie de leur fortune en diverses libéralités envers les citoyens plus pauvres. En augmentant en proportion et mécaniquement leur popularité, on peut douter qu’il y ait eu là quelque fin désintéressée. Fêtes populaires, banquets, monuments publics et autres largesses ayant acquis non point un caractère contraignant mais le rang d’institution inévitable et cardinale, l’évergétisme, s’il peut se confondre avec une pratique morale de la charité civique, ressemble à s’y méprendre à une pratique égoïste de générosité bien comprise, de celles qui attirent considération et clientèle. Ces gens-là en sont fous.

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La langue n’est asservie qu’à elle-même.

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Pour bien montrer qu’il ne faut pas confondre vérité et réalité, ce petit exercice suffira : « la neige est blanche » assertion vraie « si et seulement si la neige est blanche. » Ainsi le formule le logicien Alfred Tarski en 1933 et à juste titre. On croit lire une tautologie puisqu’il n’est pas possible de dissocier la neige de sa blancheur. On parlera donc de vérité. Mais, ce qui est vrai sur le plan logique, passe aussi et fréquemment pour être la réalité, et l’inverse. Il est pourtant facile de montrer que la vérité est indifférente au sens et à la réalité : soit la proposition la neige est blanche ; si nous remplaçons neige et blanche par snark et boojum. « Un snark est un boojum » est vrai « si et seulement si un snark est un boojum. ». Vérité et réalité n’ont aucun point de contact, sinon par pure contingence s’il se peut qu’une proposition logiquement vraie soit parfois et seulement parfois conforme à une réalité, et non vraie parce que conforme au réel. On voit bien que 2a + 2b = 2(a+b) est vrai sans le moindre rapport ni avec le réel, ni avec aucune signification. Sinon relire Platon.

Et ne pas se priver de cette jolie si bien connue, ou si jolie bien connue formule de Wittgenstein : il se peut qu’il y ait des nuages de philosophie dans des gouttes de grammaire.

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La Préfecture – qui ne recule décidément devant rien pour nous divertir – a récemment rendu publique l’« Interdiction de tout rassemblement d’oiseaux ou de volailles » dans le département. On s’est demandé, plus ou moins charitablement si les services administratifs en charge de la rédaction de tels avis avaient l’heur de manier la métaphore ou l’art consommé de l’ellipse pour exiger du lecteur qu’il fasse l’effort de deviner les raisons d’une telle contrainte. Toujours est-il qu’un certain nombre d’interdictions et d’obligations faisant suite, un doute raisonnable persiste quant à l’esprit de roublardise ou au maniement du second degré de nos agents publics, jugez-en : interdiction de l’organisation de rassemblements/conditions sanitaires renforcées pour le transport / interdiction des compétitions/vaccination obligatoire/ présence renforcée des services de l’État avec possibles mises à l’abri ou claustration. Je me suis demandée si l’on ne nous prenait pas pour des pigeons ? ou des dindons ?

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Relire Le Bibliomane de Charles Nodier, d’où j’extrais cette demi-phrase parfaite en ce qu’elle dit et comment elle le dit : La politique, dont les chances ridicules ont créé la fortune de tant de sots (..) ; même si la phrase la plus fameuse de la nouvelle reste : Monsieur (…) quand la vintisettine est à vendre, on ne dîne pas !  Réprimande à l’adresse de celui qui arriva trop tard à l’adjudication publique d’une édition rarissime pour avoir déjeuné – on disait bien dîné à l’époque – d’huîtres vertes et bu du vin de Champagne. Les femmes étaient charmantes et les gens d’esprit.

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Dans la petite liste des synonymes argotiques de l’homme peu dégourdi, nous avons banalisé le ballot, oublié le baluchard, modifié le sens de péquenot et de cul terreux, ignoré cambrousard, ramené croquant au seul titre du roman – Jacquou le Croquant (1900) – et probablement presque jamais entendu ou utilisé soi-même petzouille. Petzouille chante pointu à mon oreille : il désignait quelqu’un de rien ou de pas grand-chose dans le vocabulaire fleuri, méprisant et erroné de ma mère, et rimait pour moi fatalement avec andouille, fripouille et grenouille  Pas mieux.

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Dans la grande et inépuisable série des stupidités lues dans la presse ou entendues dans la rue – cela revient parfois au même – cet aveu qui se prend pour une transmutation, voire une métamorphose : J’ai su rebondir pour un retour aux sources. Je ne vois que les saumons sauvages à pouvoir le faire, et encore ! ils le font sans savoir ce qu’ils font. Ce retournement doublement cascadeur (bondir vers des sources) relève en effet de l’exploit et méritait bien un (petit) titre dans le journal local.

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Rien à propos des écrevisses ratatinées par les froidures de l’hiver, racornies en des petits trous détériorés, définitivement sans éclats, définitivement.

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Dans les échanges que l’on dit modernes, la ponctuation, soit a disparu soit est saupoudrée à la va-comme-j’te-pousse, tombant entre les mots comme du sucre en poudre, en moins bon. Ni le rythme, ni l’harmonie, ni, ce qui est un comble, le sens, ne sont respectés. On dirait bien, parfois, que la virgule – restons-en là pour le moment et pourvu qu'on la retrouve sur le clavier - fait ornement mais constatant que tout le monde ne peut être décorateur d’intérieur. Prononcer les propositions suivantes, en tenant compte d’une légère suspension de souffle – ce qui n’est pas toujours de mise – suggérée par la virgule : (…) lorsque Simon se sent mal, et meurt à l’étage établit que la contemporanéité entre le malaise et la mort de Simon fait surprise, et, si l’on ose, rupture.  Tandis que (…) lorsque Simon se sent mal et meurt, à l’étage, la virgule à elle seule, détient et transporte ce renseignement que la simultanéité est arrivée dans la chambre du haut.  Enfin, (…) lorsque Simon se sent mal et meurt à l’étage en l’absence de toute virgule, si l’on peut dire, trois informations sont délivrées hors toute hiérarchie, ce que les linguistes appellent aussi un syntagme – la bonne répartition syntagmatique des mots pouvant changer bien des choses.

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F
A propos de pigeons... la préfecture ne plaisante nullement, mais veille à protéger les colombophiles, dont l'activité est fort prisée en Europe (la grippe aviaire menace) : https://www.colombophiliefr.com/
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P
Je ne doute pas du sérieux de la colombophilie … mais il y avait avant tout l'envie d'épingler la Préfecture sans humour, avec, de ma part, un brin <br /> … d'humour.