inactualités et acribies

L’épistolier.

11 Octobre 2022 , Rédigé par pascale

 

Le point commun entre Viollet-le-Duc (Viollet-Leduc), Stendhal, Chateaubriand, Sciascia, Fumaroli, Sainte-Beuve, Robert Desnos est d’avoir cité nommément, à plusieurs reprises ou peu souvent, ce canonnier, vigneron, propriétaire, écrivain, helléniste. Surtout. Avant tout. Par-dessus tout, helléniste. Porteur d’un patronyme à ce point prophétique, oraculaire, préliminaire, prémonitoire à une consonne près, que personne n’ose le signaler en présentation : sa Correspondance fait la part belle à ses œuvres complètes. J’ai nommé, Paul-Louis Courier (1772-1825).Tourangeau en Italie, ayant échappé à plusieurs morts militaires, il succomba à un coup de fusil assassin, sur ses terres revenu.

Bougon et soupe-au-lait, irritable, procédurier, d’aucuns s’en réjouissent : il nous a donné, pour ces motifs, des textes effrontés, désinvoltes, sévères, très sévères à l’endroit du régime des nantis et autres privilégiés, irrévérencieux et satiriques ; Courier, fou de la langue et des textes grecs, qui faisait l’armée buissonnière et aurait donné son cheval pour un manuscrit ancien. Tant « soldat sans vocation et, par suite, sans ferveur » * qu’il pouvait rejoindre un régiment sans monture … ou, pour aller d’un poste à l’autre, prendre six mois – là où il fallait quelques jours – mais, que voulez-vous, il y avait en chemin, des bibliothèques avec des livres grecs ! Il frisa l’accusation de désertion, étant parti sans demander son reste pour rentrer en Touraine, on la lui évita de justesse ; ou envoya sa démission et partit avant de recevoir l’acceptation ; revint un peu plus tard sur cette demande ; réintégra l’armée ; manqua être tué et fut sauvé pour avoir ramassé « un rouleau de louis tombé de sa sacoche » **, son officier n’eut pas cette chance ; quelques mois plus tard – septembre 1799 – ce « déserteur par insouciance »** ignorant le danger pour cause de travail à la bibliothèque Vaticane, ne dut son salut que par l’intervention d’un ami ; de passage à Paris, il travaille à des traductions et rencontre des savants de sa trempe ; retrouve de temps à autre sa compagnie ; écrit tout ce qu’il pense de mal à propos de Bonaparte ; repart en Italie – 1804-1809- où il est à la fois le pire des officiers et l’homme le plus heureux et le plus libre ; l’édition de la BnF, dans la présentation de Coquelin, a cette formule : « fort partisan de l’équitation, telle qu’elle se pratiquait au temps de Xénophon » ; rien à ajouter.

Une de ses lettres les plus célèbres ou connues (mai 1804) – au destinataire non identifié – commence ainsi : « Nous venons de faire un empereur, et pour ma part je n’y ai pas nui. Voici l’histoire. » Suit un petit récit bien léché et ses presque derniers mots : « Voilà de nos nouvelles ; mande-moi celles du pays où tu es et comment la farce s’est jouée chez vous. A peu près de même sans doute. ». Il raconte : le colonel d’Anthouard ayant avisé son régiment de la chose, Courier rapporte son sentiment : « Un empereur ou la république, lequel est le plus votre goût ? comme on dit rôti ou bouilli, potage ou soupe, que voulez-vous ? » Après un moment de gêne, il prend la parole et prêche l’indifférence au nom de la volonté de la nation. Ce qui eut pour effet de rompre l’assemblée de sorte que chacun s’en fut. « On se lève, on signe, on s’en va jouer au billard. » qui était le seul enjeu valable. Car enfin « Bonaparte, soldat, chef d’armée, le premier capitaine du monde, vouloir qu’on l’appelle majesté. Être Bonaparte, et se faire sire ! Il aspire à descendre*** : mais non, il croit monter en s’égalant aux rois. Il aime mieux un titre qu’un nom. Pauvre homme, ses idées sont au-dessous de sa fortune ». Quelle férocité réjouissante ! il nous semble entendre déjà un certain Hugo …

Les courriers de Courier sont un régal, un délice, une friandise : ou comment être correctement fort incorrect et incisif ; l’art et la manière de l’aigre-doux poli et joliment maîtrisé par la pratique supérieure d’une langue astiquée aux textes anciens, l’air de rien. Quelques semaines après avoir essuyé de rudes batailles dans la région de Naples (lettre du 9 mars 1806, qu’il faudrait recopier tout entière), il écrit à une dame inconnue de nous, avec l’élégance indépassable de la fausse légèreté (ah ! plus personne de nos jours ne pratique cela – ou quelque rareté, bénie soit-elle !) : « Pour peu qu’il vous souvienne, madame, du moindre de vos serviteurs, vous ne serez pas fâchée, j’imagine, d’apprendre que je suis vivant à Reggio, en Calabre, au bout de l’Italie (…) » ; « car le peuple est impertinent ; des coquins de paysans s’attaquent aux vainqueurs de l’Europe ; quand ils nous prennent, ils nous brûlent le plus doucement qu’ils peuvent » ; et, enfin, redoutable, percutant, définitif : «  On ne songe guère où vous êtes si nous nous massacrons ici. Vous avez bien d’autres affaires : le cours de l’argent, la hausse et la baisse, les faillites, la bouillotte ; ma foi, votre Paris est un autre coupe-gorge, et vous ne valez guère mieux que nous. » ; à un général, en septembre de la même année, le remerciant de la chemise qu’il lui aurait offerte – on sent, à la lecture, comme une moquerie – Courier rapporte qu’il ne fallait pas qu’il se gênât pour lui, car de chemise, il en avait bien une, «  à laquelle il manque, à vrai dire, le devant et le derrière, et voici comment : on me la fit d’une toile à sac que j’eus au pillage d’un village (…) » qui fut peut-être volée mais rachetée pour un écu à un soldat. Cette anecdote recèle une dimension politique indéniable, pourvu qu’on ait (un peu) parcouru les pamphlets, un tantinet plus connus de cet admirable méconnu. En deux phrases ou plutôt en deux mots bien placés, nous savons et avons tout ce que Courier pense, qu’il dira par ailleurs, de la Révolution : je devins propriétaire (de ce morceau de toile) qui permit aux paysans d’accéder à la propriété – serait-elle très modeste – par l’abolition du système féodal et la vente des biens nationaux. Cette toile déchirée et acquise pour un écu, vaut plus que toutes les chemises neuves et propres qu’un Général pourrait offrir. Elle fait allégorie.

Une conviction aux développements parfois paradoxaux que l’on retrouvera dans les Pamphlets, une fois prochaine.

*in l’Introduction à ses Œuvres Complètes en Pléiade, l’un des volumes de la prestigieuse collection qui se serait le moins bien vendu, dit-on. ** Louis Coquelin, in Lettres écrites de France et d’Italie (Édi. 19e) – Hachette-BNF ***Corneille, Cinna II, I

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