inactualités et acribies

L’invisible senteur de la pluie.

22 Novembre 2022 , Rédigé par pascale

 

 

Un mot rare – mais c’est beaucoup plus rare – n’est pas toujours un mot perdu. Ce n’est pas non plus gagné, il peut être nouveau et inconnu, surtout s’il ne provient pas de grimaçants emprunts à l’anglobal, empreints eux-mêmes de sottises et de suffisances. Et non ! tout n’a pas été dit, le dernier mot de ceux qui n’abdiqueront jamais n’est jamais le dernier. Aussi, des trouvailles-bonne pioche sans gratter ni labourer les terres fécondes et anciennes des textes qui n’ont plus cours mais les sols arides contemporains, se raréfient. Nous disons bien « trouvailles » au sens d’astuces, de traits, d’innovations, d’inventions, non de trésors … i.e re-trouvailles, telle la récente berquinade – vocable qui rendrait tant de services aux rédacteurs de notices littéraires et leur ferait économiser bien des efforts, à moins que l’art de ne rien dire d’un roman qui lui-même ne dit rien soit un exercice rémunérateur. Exit la précise et cinglante berquinade dans ce cas, qui sous ses allures plutôt douces en commençant comme le Bernin, ou, plus modestement le ber, pièce essentielle de l’architecture de tout bateau, semblablement à un berceau dans quoi tout se fait et se joue et se lance, mais finit en capilotade ou en embuscade. En raison de ce qui lui donna le jour, la berquinademot fort usé au 19ème siècle mais dont le genre a toujours sévi – suffit pour désigner les sucreries livresques boursouflées par le néant qui donne une prétention générale inversement proportionnelle à leur qualité littéraire. Voici un mot perdu que nous pouvons retenir pour achever – au sens le plus fort – avec une belle sobriété de moyens, la grande majorité de ce qui se vend de nos jours sous le nom de romans.

Adonc un mot qui ne vient pas de l’anglais – mais que l’on doit à des anglophones – un mot qui n’a que quelques décennies d’existence, un mot qui danse et rime avec Terpsichore, passiflore, éclore, aurore, qui sent la terre, la pluie, l’argile, dont la double racine grecque s’entend et se lit – loin des textes scientifiques qui furent les premiers à le nommer – et l’une, dans ses meilleures acceptions, signifie le sang des dieux ou des déesses et qu’Homère emploie, ichor, χώρ, parlant d’Aphrodite et à laquelle nos deux Australiens ont adjoint πέτρα, pétra, la pierre – un était minéralogiste ;  un mot pour ne pas perdre les lecteurs au milieu des actinomycètes et autres bactéries chimiquement (re)composées à partir de matière organique en décomposition ? Le duo trouva, conçut, cousit pétrichor.

Le pétrichor ne se touche, ne se voit, ne s’entend, ne s’attrape ni ne se retient entre les doigts, entre les mains. Qui aime lorsque, sur la terre et la route et l’herbe sèches, la pluie rebondit en laissant une senteur à nul autre instant semblable ; qui hume avant l’arrivée des gouttes, leur aromatique fraîcheur issir et glisser dans l’air déjà mouillé, et sait reconnaître ces particules odorifères qui giclent depuis le sol chaud qu’elles frappent invisiblement pour mieux éclabousser l’espace et jusqu’au vent lui-même ; qui reconnaît alors une puissance volcanique, lavique, contenue, retenue dans la terre ou le basalte de la geste homérique ; qui se souvient des roches de l’Etna tièdes encore bien après que le magma s’y faufila et la neige y fondit ; qui respire le sang divin des pierres pour signe silencieux d’une perturbation du ciel, fréquentant le chœur antique du monde depuis toujours pétrisseur de nuages, acquiesce au pétrichor.  

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