inactualités et acribies

Analecta, varia et autres spicilèges (5)

5 Avril 2024 , Rédigé par pascale

 

La synapse, figure de l’immense et fine configuration de notre cerveau par contacts entre neurones, nous en posséderions … un million de milliards !

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Un terme dont on s’étonne que Freud ne s’en soit pas emparé, lui, si épris de l’ancienne langue grecque : l’hypogée, une construction souterraine.

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« Les Illuminations de Rimbaud – Ce sont, soudainement apparues, aheurtées en des chocs aux répercussions radiantes, des images d’une beauté bestiale, énigmatique et glorieuse, suscitant du sang, des chairs, des fleurs, des cataclysmes, de lointaines civilisations d’un épique passé ou d’un avenir industriel. » Félix Fénéon in Le symboliste, 1886

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Maurizio Pollini, décédé il y a peu dans son grand âge laisse en moi des souvenirs inclassables d’écoutes continuées de Chopin, alors que je trébuchais sur des textes non traduits – à l’époque – de Boèce, dont on ne connaissait que la Consolation … quand on connaissait Boèce. L’empreinte sonore laissée en soi par les très grands interprètes – je n’en ai pas plus que les dix doigts des deux mains sur le clavier qui me font cet effet – l’empreinte sonore, à jamais gravée — ce terme si conforme dont on usait à l’époque des disques. Maurizio Pollini, de longues mains si fines, des yeux de braise.

De Jankélévitch cette phrase qu’on croirait avoir été écrite pour lui, hommage : « Les grands maîtres du pianissimo, Fauré, Debussy et Albeniz se meuvent à la limite du bruit et du silence, dans la zone-frontière où ceux qui ont l’oreille fine perçoivent les sons infinitésimaux de la micro-musique ; aucune main n’est assez légère, assez impondérable pour obtenir du clavier les infra-sons et les ultra-sons que le divin Jerez d’Albeniz a captés : des doigts d’archange seraient encore trop lourds pour ce toucher immatériel, pour cet art d’effleurer, pour ce contact plus léger qu’une tangence. » Vladimir Jankélévitch – La musique et l’ineffable. 1983. Pour moi, Pollini avait ce toucher-là.

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« Le ciel t’écrase sous sa semelle. »

J-M Maubert – in Décombres.

 

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J’adore les intraduisibles italiens de la vie courante :

Fare il pianto greco : « faire la pleureuse » pourrait être un acceptable équivalent, à condition de lui adjoindre la touche d’exaspération qui nous saisit quand quelqu’un pleure ou plutôt pleurniche ou geint pour un oui ou pour un non, ce dont les Italiens n’hésitent pas à accuser les Grecs.

Arrampicarsi sugli specchi : ici, on entend ou on lit quelque chose qui a à voir avec la reptation, le fait de ramper … mais ramper le long de la paroi des miroirs, est mission impossible, on n’y arrive pas. L’expression est courante quand un quidam peine à justifier, expliquer, une position ou une opinion. Il baratine … il « rame », il s’enfonce ou il use de la langue de bois en français … bref, il ne s’en sort pas !

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Relevé cette lumineuse et brève affirmation dans la préface de Marc Blanchet à un recueil de Franck Venaille : Un artiste est la somme de ses obsessions.

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Entendu : « il promouvoit », conjugué comme voir … ! et lu : « le censureur »

Ciel ! de combien de gourdiflots ce monde est-il dorénavant constitué !

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Éléonore — bientôt dix ans — me dit qu’elle aime le langage soutenu. Je réalise que ce terme – un chouchou de l’école élémentaire et du collège pour le distinguer du langage courant – est bien et mal adapté à la fois : qu’il doive être « soutenu » et qu’on ne le soutienne pas, est une évidence. Pour exemple que je ne lui demandais pas, elle me dit opprobre (orthographe ? oui, c’est bien, deux « p ») qu’elle avait lu – et retenu – récemment.

Quand, dans un élan poétique propre à cet âge mais en voie d’extinction, elle écrit que « la nuit tombe comme le vice » je m’inquiète, m’étonne et questionne : — « c’est dans un poème de Victor Hugo mais je ne sais plus lequel » — on lui pardonne. Pour ne pas être en reste – il faut son honneur garder – je lui dis qu’elle rencontrera toujours Victor Hugo à l’école, devancé par La Fontaine – tous deux chouchous des profs de français – en revanche, pas du tout Gaston Miron, dont je lui lis quelques poèmes à haute voix : Gaston et moi faisons un tabac !

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… lequel La Fontaine aurait affirmé que le village de Richelieu est « le plus beau de France ». En Indre-et-Loire pays de vallons et de poètes.

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         Retrouvé chez Pétrus Borel, le nonchaloir dont je parlai récemment : « Dans toute sa personne régnait un nonchaloir, qui contrastait avec son maintien énergique. » (in Champavert, 1833)

            Le même, pour dire qu’en avril le temps est incertain, invente tout simplement l’adjectif avrilleux.

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« Faire route en solitaire fait partie de la condition du philosophe » — Nietzsche

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« J’appellerai image cette impression de réalité enfin pleinement incarnée qui nous vient paradoxalement de mots détournés de l’incarnation. » Yves Bonnefoy - Lieux et destins de l’image, Paris, Le Seuil, 1999, p. 26.

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Dans un texte « anticonformiste » – qui balaie les clichés et poncifs les plus courants – consacré à Rimbaud, cette citation extraite d’une lettre à Ernest Delahaye, mai 1873 : « … la contemplostate de la Nature m’absorculant tout entier. Je suis à toi, ô Nature, ô ma mère ! » ou la rencontre de la pure et géniale créativité sémantique avec le Jean-Jacques des Rêveries … à 19 ans.

Félix Fénéon, cf. supra –In Le symboliste, 1886 – le dit autrement :  Rimbaud à peine âgé de vingt ans atteignait sa vieillesse littéraire.

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Et dire que des milliards de soleils crépitent dans l’univers !

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         Nous n’employons quasi plus le terme pensum, lui substituant corvée voire punition – ce dernier n’étant déjà plus exact, car le pensum était le nom donné dans l’antiquité latine tardive, au poids de laine qu’une dame se devait de filer dans la journée pour satisfaire à l’une des obligations domestiques – et phallocrates dit l’auteur du livre précieux où j’ai trouvé cela – de l’époque.

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René Char : « Un poète doit laisser des traces de son passage, non de preuves. Seules les traces font rêver ».

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« Et je trouve en somme bien plus supportable d’être toujours seul que de ne jamais pouvoir l’être. » Montaigne – j’ai quelques noms pour souscrire à cette évidence …

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« Lire est une expérience qui transforme de fond en comble ceux qui vouent leur âme à la lecture. Il faut serrer les vrais livres dans un coin car toujours les vrais livres sont contraires aux mœurs collectives. » - Pascal Quignard – La barque silencieuse.

Ce qui contredit les tropismes grégaires contemporains qui contaminent aussi la lecture, sommée – par injonctions insupportables et libraires – de faire l’objet de partages, de clubs, de communautés, de cercles… Lire n’est pas une occupation, un passe-temps, un loisir ... Quignard écrit – deux fois – les vrais livres. Voilà, tout est là. Toute lecture est solitude sociale. (ibid.)

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d’ailleurs il faudrait voir à ne pas confondre, livre et littérature.  Surtout en librairies, à la radio-télévision, dans les journaux et même à l’école. Bref : toute littérature est un/en/ livre – et non en écran – tout livre ou écran n’est pas littérature. Élémentaire non ?

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« Respirare, ou le temps long des choses à leurs mots »

In Ce beau silence de flocons et de plumes

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« Le silence est comme un bloc de glace que la parole fait fondre. » G.Perros in Papiers collés II – Notes – p. 137, pas toujours d’égale pertinence, mais là, il faut reconnaître qu’il n’y a rien à ajouter. (j’aurais peut-être supprimé « comme » toujours de trop, mais l’image est parfaite.)

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« Héraclès ne saura jamais à quoi servent vraiment ses travaux » Roberto Calasso in Les Noces de Cadmos et Harmonie.

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La catabase est un motif récurrent des épopées grecques : la descente du héros dans le monde souterrain des Enfers. Son complément et exact opposé, l’anabase, (« en haut » et « βαίνω » marcher : remontée) est d’usage plus étendu puisqu’elle représente autant une ascension spirituelle – y compris imaginaire – que rituelle en vue d’un lieu paradisiaque et céleste, différant selon les croyances. L’anabase a une dimension initiatique et/ou cathartique, mais désigne aussi en musique grecque antique une mélodie ascendante.

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On disait, encore au début du siècle passé, d’une personne sans autorité, molle, qu’elle est un soliveau ; terme qui s’ajoute à la longue liste des mots disparus. N’empêche, il faut parfois se méfier des soliveaux, ils ont en effet des apparences de nonchaloir, mais – telle l’eau qui dort – se garder de trop de confiance, leur irascibilité rentrée peut se révéler à l’occasion du moindre ciron qui viendrait titiller leur placidité fragile : capables de sortir les griffes et de mordre à contre-temps et hors de proportion.  

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