inactualités et acribies

Cher Guy (Henry-René-Albert)

17 Août 2017 , Rédigé par pascale

Votre voyage en Sicile. 1885.

Vous ignorez, bien sûr, la dévotion fébrile, ancienne, mystique et rationnelle tout ensemble que je porte à cette île. Ce serait refaire l’histoire à l’envers et supposer que mon existence eût pour vous quelque importance, au-delà du fait commun qu’il se mêle aussi dans mes veines un peu de sang lorrain et pas mal d’autres par les ascendants desquels nous descendons. Tous un peu.

La Normandie, terre de Sicile. Oui, mais ça dépend. D’où les Conquérants partirent s’installer, et le roi Roger II, c’est la mienne. La Basse-Normandie, celle, sans rire, du village de Hauteville, un petit coin de campagne d’où une véritable et constante immigration, quelques centaines de Normands par an depuis les années 1010 et pendant un siècle environ, s’en furent par-delà les mers et les terres prendre racine tout là-bas. N’empêche que cela suffit pour créer des liens…. Bon, l’histoire de ces XIème et XIIème siècles est franchement compliquée, mais retenons, vous et moi, que Roger II et son fils Guillaume (prénom de tous les Normands depuis plus ou moins toujours) et son petit-fils, Guillaume, et leur ancêtre Tancrède, et sa douzaine d’enfants, tous paroissiens du Diocèse de Coutances, trouvèrent aux rivages méditerranéens du Sud plus de vertus qu’aux plages cotentino-manchotes*… Retenons encore, de Robert en Roger,  des successions qui se succèdent avec succès, de frère en frère en fils. La Sicile normande, c’est lui, le deuxième Roger ! la chapelle Palatine aussi.

Ces Normands-là n’ont pas chipoté. Ils ont carrément conquis Palerme en 1072. Mais pas seulement. Et la Palatine, celle dont vous dites qu’elle est la plus belle qui soit au monde, ce dont je doute, est enclose dans l’ancienne forteresse construite par les Normands. Et puis plus rien. Plus rien dans votre texte. Ma déception est immense. Et pas seulement là. Franchement, la beauté colorée et calme, qui vous fit pourtant quelques lignes plus loin une si violente impression, me laisse, quant à la l’impuissance des mots, totalement pantoise…. 

Et tout défile un peu comme ça, en remarques naïves, ou plutôt terriblement banales, alors que tout, tout vous dis-je, dans cette île répugne à la banalité, aux mots convenus, aux sensations atones : La rue, à Palerme, n’a rien de particulier. Elle est large, et belle dans les quartiers riches et ressemble, dans les quartiers pauvres, à toutes les ruelles étroites, tortueuses et colorées des villes de l’Orient. J’ai quand même un peu honte de vous prendre en flagrant délit de fadeur, d’insignifiance, pire, de platitude. Très fâchée, déjà courroucée, contrariée pour le moins,  je tourne les pages d’un … descriptif détaillé, certes, mais sans relief. Les jardins de la villa Tasca sont pleins d’admirables plantes tropicales**. C’est tout ? c’est tout !

Le cloître de Montreale est une splendeur et voilà ce que vous en faites : tous ces mignons couples de colonnettes, tous les chapiteaux, d'un travail charmant, sont différents. Et on s'émerveille en même temps, chose bien rare, de l'effet admirable de l'ensemble et de la perfection du détail. Pas étonnant c’est le Normand Guillaume, surnommé le Bon, qui en fut  l’initiateur ! je vous taquine ? un peu, mais pas tant, c’est pour mieux accepter la suite, il est très grand, dites-vous, tout à fait carré (le cloître). Je ne vois pas bien non plus comment vous pardonner d’avoir osé écrire que celui de San Giovanni degli Eremiti, est bien moins remarquable que celui de Montreale.

Comment ça, bien moins remarquable ? il faudrait d’abord qu’ils se puissent comparer. Compare-t-on un génie à un autre ? un chef d’œuvre à un autre ? Mais vous n’en dites rien de plus : sitôt entré, sitôt sorti. Suis-je cruelle si j’ajoute que vous n’avez décidément aucun état d’âme ?

Alors, et forcément, je vous attendais au tournant. Oui, la Grèce est en Sicile. Mais n’avez-vous pas ressenti un souffle, une exaltation, à quoi doit-on la sècheresse de ces mots : trois temples superbes profilent, vus d’en bas, leurs grandes silhouettes de pierre sur le ciel bleu des pays chauds.

S’ils semblent debout dans l’air, comme vous dites, eh bien c’est qu’ils le sont ! vous chevauchez, traversez, ricochez sur des somptuosités, des fulgurances, des merveilles, pour n’en rendre qu’un badigeonnage, un vernis, un enduit. Les Lipari, les incandescentes d’Héphaïstos, vous laissent froid, quelques maisons blanches au pied d’une grande côte verte. Taormina, au pas de charge, bien qu’elle vous ait (quand même !) arraché quelques adjectifs, la ruine, triste, superbe, écroulée, et là, je ne vais pas me faire des amis, mais, franchement, se peut-il qu’une ruine soit autre chose qu’écroulée

Et ce n’est pas en rapportant vos crapahutages sur les pentes de l’Etna que vous nommez Empédocle. Car vous le nommez, ou le nommerez plus exactement, plusieurs pages plus loin, par hasard et par accident, parlant de Syracuse où vous manquez le musée où contempler la sublime femelle de marbre, une des plus belles Vénus, selon vous, dont vous tombâtes amoureux sur photographie d’album. Cher Guy, Henry-René-Albert, Guy de Valmont, Joseph Prunier et autre Maufrigneuse, je commencerais presque à développer quelque tendresse pour votre amourette de papier glacé, si vous ne m’aviez flanqué l’image d’Empédocle d’une superposition pour le moins inattendue. Ratant et le musée et son directeur -nous arrivions trop tard- vous osez, et cette fois vous m’avez fait sourire, parler  du Professeur Cavalari en ces termes : Empédocle moderne, (il) descendit boire une tasse de café dans le cratère de l’Etna ! C’est très drôle, oui, vraiment, là je reconnais l’auteur des Contes. Manque seulement la raison de l’anecdote.

Cessons-là diront les bégueules, on ne touche pas à Maupassant ! mais si, justement. Touchons et retouchons, le tableau est une croûte, un ratage, un barbouillage. Tous les grands maîtres ont eu des loupages. Il eût fallu que je passasse ? que je pardonnasse… ou que je me tusse ? je décidai d’en jouer. Un peu sérieusement quand même, c’est un risque qu’en matière de mots j’aime prendre, à défaut de l’oser toujours. Mais je me soigne.

Pour ceux qui restent sur leur faim. De Maupassant le Grand, lire sans tarder si ce n’est déjà fait, Auprès d’un mort, des lignes qui ne manquent pas de mordant. Où Schopenhauer, tant admiré de notre voyageur insuffisant, n’est pas en situation avantageuse, je ne vous dis que cela. Enfin, me suis précipitée pour changer de Sicile et retrouver celle que j’aime, sur deux livres qu’on ne connait plus, qu’on ne lit plus, qui m’ont laissée, il y a plusieurs décennies, dans un sentiment de plénitude exaltée, je parle de Oublier Palerme et Une enfance sicilienne (d’après Fulco di Verdura, dont Tomaso di Lampedusa est le cousin, bon sang ne saurait mentir) de la grande Edmonde Charles-Roux, oubliée elle aussi. J’espère n’être pas déçue.

 

*pour les cancres : les plages du Cotentin, département de la Manche (50)

** lire sans barguigner, Edith de La Héronnière La sagesse vient de l’ombre. Dans les jardins de Sicile. Ed Klincksieck. 2017  et Du volcan au chaos. Journal sicilien. Ed. NOUS.

*** cloître de San Giovani degli Eremiti, Palerme ; Temple de la Concorde, Agrigente. Photos personnelles.

 

 

 

 

 

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P
J'ignorais cette perle, mais ne risque pas de l'oublier... Suis sûre (pessimisme natif) que c'est authentique entendu ou rapporté, mais réel!
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D
Quelqu'un rentre dans la librairie, demande: "Vous avez des guides Maupassant?" Propos entendus, rapportés, ou légende urbaine.
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P
Qui aime bien châtie bien non?<br /> Mau(vais)passant Guy! m'en vais, de ce pas, boire un café à sa santé (j'ai pas l'Etna sous la main).<br /> Stéphanie, lectrice fidèle mais muette, c'est pas la seule... grrrr... (me) parle d'éreintement. La "descente en flamme" est une expression-vision qui me chaut (!) bien aussi.<br /> Cher Guy de M. si vous nous entendez, remettez-vous, on vous aime. Mais pas en Sicile
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L
Belle descente en flamme de l'ami Maupassant, comme quoi on peut être "grand écrivain" et piètre voyageur ou plutôt piètre écrivain-voyageur. Ce qui tendrait à prouver que la littérature de voyage est un genre à part entière qui n'est pas infuse à toute plume. Il y faut certaines qualités idoines sur et avec lesquelles Edith de la Héronnière nous a conquis.
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