inactualités et acribies

… bien que tu ne te plaignisses pas (et) que tu effeuillasses des roses…

1 Juillet 2018 , Rédigé par pascale

Ce siècle avait 9 ans à la naissance de notre homme. Celui des années 1800. Qui avait vu naître Victor 7 ans plus tôt. Alphonse, 19 ans déjà ; Théophile né 2 ans plus tard ; Alfred, l’un, 12 ans plus tôt, Alfred, l’autre, un an plus tard ; Gérard, l’année d’avant. Charles en 21 est le jeunot de la bande.

Et si l’on rapproche les décès, nous avons, dans l’ordre d’apparition -aléatoire- dans le texte : Hugo, le grand gagnant, survit 26 ans à notre héros, Lamartine 10, Gautier 13, Vigny aussi ; Musset  et Nerval ont le mauvais goût de mourir avant lui, respectivement 2 et 4 ans ;  Baudelaire lui survivra 8 ans. On pourrait donc en déduire qui a pu, ou aurait pu, assister aux funérailles des autres, ou pas. D’abord pour des raisons géographiques, Victor et Alphonse, Alfred et Alfred, Gérard, Charles, sont morts à Paris ; Théophile à Neuilly-sur-Seine. Autant dire la porte à côté. Ensuite, pour des raisons d’agenda. Musset et Nerval sont donc excusés… d’office. Mais les autres aussi, car notre poète-écrivain, polygraphe, né en 1809 à Lyon, est mort en 1859 à… Mostaganem, Algérie. Loin des yeux et plutôt loin du cœur, la foule lut et passa outre dit l’un de ses premiers biographes.a Personne ne fit le déplacement.

Pétrus Borel d’Hauterive, de son authentique nom, que le père mit en apprentissage d’un métier dès l’âge de 15 ans, en raison de ses talents évidents de dessinateur, mais surtout du nombre élevé de ses autres enfants à pourvoir – 13!–  toi qui charbonnes les murailles, qui fais si bien les peupliers, les hussards, les perroquetsb et Pétrus de poursuivre en disant, désabusé, qu’à cet architecte, il me vendit pour deux ans. L’existence dont il rêvait ? chamelier au désert… (pour mémoire, Arthur R. naît cinq ans avant la mort de Pétrus). Et Pétrus quittera bien la France, début 1846 à 37 ans, du moins la Métropole, la poésie et les poètes ses amis, pour embrasser une carrière ratée de fonctionnaire colonial, et mourir d’une insolation, en faisant son jardin, dit-on, après avoir ferraillé jusqu’à l’épuisement avec son administration et ses hiérarchies, ses voisins et les tribunaux, pour ne rien dire d’une étrange situation matrimoniale qui vit sa femme devenir sa belle-mère quand il épousa la fille de celle-ci.

Qui connaît de nos jours Pétrus Borel ? son nom peut-être, ses textes non. Deux pages dans l’Anthologie de l’humour noir de Breton. Minimum syndical eu égard aux formulations emphatiques : un des plus grands souffles révolutionnaires qui furent jamais, dit-il de son admirable Madame Putiphar. Mais si court soit l’éloge, il vise juste, sur le style, l’écriture (y compris au sens orthographique, parfois baroque), la forme. En quelques mots, il dit tout, son portrait physique et moral, sa situation de quasi permanente misère, son sens aigu de la provocation si présent dans ses dernières annéesc comme un prolongement logique et adapté au principe de réalité de ce qui fut le principe de plaisir de ses années de poète, sous l’aile protectrice de Gautier, Théophile.

Baudelaire, autre de ses géniaux contemporains, lui réserve un peu plus de lignes, dans ses pages Critique Littéraired. Ça commence mal, rappelant que le nom de Pétrus Borel fut, dans la presse, l’année de sa disparition, synonyme de dégoût et de mépris. Mais la plume de Charles relève le gant. Une des étoiles du sombre ciel romantique. Que pourtant déjà tout le monde a oublié. Mais pas lui. Qui reprend l’essentiel demeuré aujourd’hui et suscite amplement de quoi passer de la curiosité à la lecture. Ainsi : Borel-le-Lycanthrope l’expression fait syntagme, le guignon devient son lot et sa mesure, la frénésie sa marque, d’écriture et de caractère, le bousingoe son esprit, la haine et le mépris romantiques donc aristocratiques du bourgeois, sa ligne de conduite. Mais Baudelaire achève, vaincu par ce portrait que lui-même dessine, disant que le poète-écrivain le touche. Que sa maladresse, ses ébauches, son génie manqué le rendent sympathique, et finalement que la férocité –lycanthropique ?– de son amour des Lettres lui manque, les écrivains d’alors, pour jolis et souples qu’ils sont, ne le remplaceront jamais. Et d’écrire cette affirmation définitive comme un sujet d’examen : Sans Pétrus Borel, il y aurait une lacune dans le Romantisme. A vos stylos !

On aurait envie de dire qu’on n’arrive pas à Pétrus Borel par hasard ! et bien, si ! ou presque si ! Pour peu que vous le voulussiez.  Qui joue ici comme invite, comme réponse, comme citationf. Cette admirable conjugaison, me tombe dessus,  alors que je découvre Croque-mort au détour d’un chemin sémantique, pour ne pas dire un lacis, dont il est impossible ici de rendre compte. Mais cet imparfait du subjonctif si parfait, une spécialité de Borel, avec quelques autres,  attira l’attention d’un lecteur, grand connaisseur de notre colosse, comme le nomme Aragon. Et m’offre, que je vous offre à mon tour, une de ces prouesses typiquement boréliennes, de l’inimitable, de l’impayable, du sans-pareil, et maintenant de l’inoubliable : l’écolier Passereau, s’en vint demander au bourreau la requête suivante, Je désirerais (sic) ardemment que vous me guillotinassiez ! Il ne m’en fallait pas plus.

Pétrus Borel est écrivain. Une plume. Des mots, précis, précieux, robinerie, malepeste, des mots artisans, botanistes, périanthes, cubèbe. Inattendus, abasourdissant, inexistants, mange-mort, rares, cachemire boiteux, amitieux, chevaler, des titres en latin, Quod legi non potest, en anglais, Voices in the desert,  en espagnol, Pesadumbre y conjuracion. Faux-pas volontaires d’orthographe, phâmeuse ou même de graphie, maintien de formes passées, pensers, ou de mots désuets, nonchaloir plutôt que nonchalance. Invention, méprisamment. Émotion, ces bottines ne vous semblent-elles pas des plumes dans un encrier ? Simplicité, Il était nuit avancée. Il suffit de tourner les pages… ce qui n’est pas forcément lire, j’entends bien. La lecture offre des plaisirs inégaux. L’homme est là tout entier. Dans ses éclats de mots, ses splendides figures, ses personnages délicats, furieux, violents, meurtriers, désespérés. L’œuvre, les œuvres ? cacophonie géniale, charivari chavirant. Ah ! on est loin, très loin, du romantisme mièvre des manuels scolaires. Plutôt dans le coup de poing permanent, même si, et bien que, parfois, il ne faut pas hésiter à lui trouver des défauts.

Il y a des œuvres aujourd’hui quasi inaccessibles, je pense en particulier à ce poème inédit, retrouvé en Algérie, et édité en Suisse en 1978, par Alain Borer, Le Voyageur qui raccommode ses souliers, d’autant que je trouve mention à plusieurs reprises d’un article De la Pantoufle (qui intrigue évidement mon insatiable appétit objectal, cette petite voix qui me dit depuis longtemps que derrière les choses les plus ordinaires, il y a toujours une réflexion philosophique à venir) et enfin, que Pétrus écrit Gniaffe, au choix, cordonnier en argot du siècle, –mais aussi, ici, cordon-nié– ou travail saboté. Et puis, comment ne pas avoir de tendresse pour un homme qui cite Saint-Évremond, aux côtés, entre autres d’Érasme et de Boccace, en introduction à l’Âne d’Or, dans la Revue Pittoresque à laquelle il contribua.

[Et puisque vous êtes là, je rappelle qu’il fut de ceux qui firent la claque et la clique, et le boxon pour défendre l’Hernani du Maître ! et aussi qu’il traduisit le Robinson de Defoë, et que sa traduction fait toujours autorité. Quant au titre, il est extrait d’une lettre, respect !]

a) Jules Claretie, Pétrus Borel, le Lycanthrope, 1865 ; b) cf Champavert, Préface ; c) il suffit de lire les interminables correspondances qu’il adresse à ses chefs, sous-chefs, ministres, juges etc…. d) après Victor Hugo, Auguste Barbier, Marcelline Desbordes-Valmore, Théophile Gautier, arrive Pétrus (cf Pléiade p 724 et sqq) ; e) ou bousingot, anarchiste au chapeau du même nom ; f)  archives, 14 avril 2018, in le cru et le recuit ;

 

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M
Avec mes excuses : sciences critique n'a rien à voir avec ce qui précède<br /> Mais je doute que l'IA parvienne au niveau de celle de Petrus Borel
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P
L'expression Intelligence Artificielle m'a toujours paru être un oxymore. Quelles que soient les capacités des machines, ce sont bien les hommes qui les ont rendu possibles...
M
Merci !https://sciences-critiques.fr/pourquoi-resister-a-lintelligence-artificielle/<br /> Mais pourquoi...ne m'a-t-on jamais agité ces feuilles sous le nez ? Incité, persuadé, convaincu, voire contraint toute affaire cessante à lire Petrus Borel (Éditions du Sandre 45 euros)<br /> Il m'a semblé que les femmes avaient une certaine propension à tomber de leur hauteur au mieux, ou bien alors dans le puits.<br /> "dans sa chute elle heurta et fit sonner un fer ; c'était une épée ensanglantée...<br /> On ramassa l'une et l'autre"
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P
Les Editions du Sandre présentent ici un excellent choix, mais seulement un choix. L'introduction, remarquable.<br /> La frustration, ne pas disposer de ses articles dans les revues et journaux, qu'il a fait d'abondance...<br /> Merci à vous.
M
"les excusés ...d'office" Jubilatoire ! Où quand les points de suspension suscitent le point d'exclamation.
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P
Merci...!!!
D
Heureux de retrouver ici le Bousingo!
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P
Ce Pétrus-là peut nous accompagner sans modération. Et rester toujours à portée de dégustation.