inactualités et acribies

Au menu, salade de broquillettes à l’ancienne.

20 Octobre 2023 , Rédigé par pascale

 

Précédée d’une entrée exotique rafraîchissante :

 

Rapporté par l’ami bouquiniste, cet irrésistible et authentique trait : une dame, inconnue de lui, pénètre en son échoppe emplie comme un œuf dur et comme il se doit de milliers de volumes. Les espaces libérés pour circuler sont étroits entre les murs, les étals, tables et tablettes, présentoirs et piles tous recouverts, mais on passe et découvre, ou retrouve, ou savoure, on saisit, repose, on feuillette, on bavarde… on prend son temps et des livres plus que de raison, et le café.

D’un pas franc et assuré, la dame-inconnue-qui-vient-d’entrer, entreprend une visite non guidée, avançant d’un pas carré en claquant des talons devant des étagères surchargées, tournant aux angles, reprenant son labyrinthique itinéraire mais pas son souffle, et ressort à peine quelques minutes plus tard, lâchant, en refranchissant le seuil dans un soupir de souffrance, ces mots immémorables : « Ouf ! ça fait mal à la tête ! ».

  Si dédale, le nom commun, a pris la poussière au fil des siècles — pas facile de balayer dans les coins surtout à ciel ouvert — lui rendre un nom propre et lui refaire le portrait de temps en temps ne serait pas inutile, et prendre un assistant qui ne compte pas ses efforts non plus, ni ses initiatives personnelles : son imagination est prolifique, ses travaux aussi. Il nous est donc très sympathique et le sollicitons assez fréquemment pour des missions courtes, des contrats déterminés par nos intuitions personnelles, des opérations temporaires et précises. Nous avons nommé Diodore de Sicile.

Mais dédale. Le glissement de son nom du propre au figuré, passé aux oubliettes de l’histoire labyrinthique des vocables, mérite un petit coup de plumeau et la remise en place de quelques palmes portées par tous les vents chauds et méditerranéens de notre collective et imprécise mémoire. Dédale, selon Diodore notre compagnon le plus infidèle et le plus précieux pour les histoires du soir, Dédale savait tout faire, nous l’avons oublié. Artisan né, ingénieux ingénieur, sculpteur, architecte, astucieux, débrouillard, qu’on a cru le premier concepteur du piège où se casser les dents — à part quelques redoutables labyrinthodontes dont on n’a pas le moindre souvenir. Selon Diodore (i, cxvii) il aurait imité une structure déjà élaborée par les Égyptiens bien avant le règne du crétois Minos. Diodore en profite pour rappeler qu’il vit lui-même des vestiges dédaléens en terre bien-aimée de Sicile, ainsi des bains de vapeur actionnés par un système hydraulique à Sélinonte ; l’agrandissement du sanctuaire d’Aphrodite à Éryx, petite ville bâtie sur un promontoire, une sculpture de bélier d’or pour la même en la même cité, la kolumbêthra de Mégare ; l’imprenable forteresse de Kamicos – pour le roi Kodalos ; ce qui autorise à nommer daidalea (Δαιδαλεοζ, α) l’ensemble des ouvrages d’art, pas seulement les siciliens, que l’on doit au père d’Icare, le plongeur apothéotique.

Nous ne ferons pas la fine bouche : nous ne sommes pas Horace qui, dans son Art poétique grommelle contre les radotages d’Homère, car il ne radote ni ne rabâche, il pratique l’épiclèse, πίκλησις /epíklêsis : adjoindre une épithète au nom d’une divinité —ou plusieurs successivement mais non simultanément — qui va lui coller à la peau – un peu comme, à tous les coups, Le gentleman cambrioleur désigne Arsène Lupin. Loin d’être des faiblesses, les épiclèses sont — pour un récit qui pendant très longtemps ne sera pas lu mais récité, chanté — des balises pour charpenter le tout, favoriser une rythmique, une métrique cadencée, saccadée, pour soutenir l’attention. Horace, des siècles plus tard, se plaint que bonus dormitat Homerus – ou si l’on veut, qu’Homère soit un tantinet soporifique. Quérimonies un brin forcées donc, car le « bon Homère » varie dans la répétition et colorie ses accotoirs de sorte qu’on puisse reconnaître de qui il s’agit sans céder aux scies ni aux rengaines. Pour cela, outre la variété des épiclèses rapportée aux héros ou dieux — Hermès, champion toute catégorie, plus de dix épiclèses différentes mais régulières — les spécialistes ont reconnu de nombreux emprunts dialectaux (arcado-cypriote-éolien-ionien) qui eux aussi « cassent » la monotonie du récit. Et c’est sans parler des objets, autres symboles ou signes fameux, avec quoi Hermès – et bien d’autres – sont confondus jusqu’à en être indissociés.

Les petites histoires édifiantes ne sont pas les plus fréquentes dans la mythologie et les légendes de la Grèce ancienne où le jugement moral n’était pas le mieux placé, mesuré à l’aune de l’éthique telle que nous la concevons. On peut même dire que le succès des entreprises divines ou humaines l’emportait toujours sur les moyens d’y parvenir. Les dieux ou les héros grecs que nous aimons aimer pour leurs prospérités dorénavant plutôt vagues et leurs noms accolés à des objets marchands, étaient souvent de fieffés menteurs, manipulateurs, fourbes, cruels et autres brutalités de tous acabits. Aussi, l’hypothèse à haute valeur vertueuse qui présenterait un roi brutal, injuste et oppresseur mis en échec par une petite orpheline pauvre et affamée, relève du mirage pour ne pas dire du miracle dans ce polythéisme rageur et frénétique.

Voici l’histoire de Charila. A Delphes, la sécheresse répandant la famine, une longue théorie d’habitants se présente sous les fenêtres du roi – tels les gueux suppliant Marie-Antoinette - ; le roi dans un geste de munificence inespéré, demande à ses serviteurs de distribuer – avec la plus grande parcimonie et en commençant par les notables – quelques rogatons plus ou moins comestibles, jusqu’à ce qu’il n’en reste plus, alors que les pauvres, affamés, n’étaient point servis. Charila, avec la détermination et le courage de qui n’a plus rien à perdre – à peine la vie raccrochée à quelques miettes improbables – brise la file et se poste devant le roi qui, furieux de l’outrance réunie à l’outrage, la chasse à coup de chaussure.

Charila, se pendit à un grand arbre, à la sortie de Delphes. Oublieux de cette petite impertinente, le roi s’inquiétait cependant que famines et maladies continuassent à décimer ses sujets. Il consulta la Pythie, qui lui rappela Charila. Il enquêta – si sa réputation de générosité ne tenait qu’à retrouver cette petite insolente, il lui fallait y consentir. Les Thyiades – ou Bacchantes si l’on veut – lui rafraîchirent la mémoire, exigeant pour Charila, des rites d’apaisement et d’expiation. C’est le prix à payer pour le double crime d’avoir négligé les pauvres et frappé Charila. Il fallait reprendre la cérémonie de distribution de nourriture, mais dans la justice, l’équité, la générosité répartie sur tous. Une poupée à l’effigie de Charila fut menée au lieu de son supplice et enterrée auprès d’elle. Cérémonie que Delphes réitéra tous les huit ans, pendant des siècles. Ce que d’aucuns appellent la force des faibles.

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R
La dame aux talons militaires méritait-elle ce « zeugmatique » opprobre, ajouté à ses maux de têtes, gardés en mémoire, quand même soulagés par un « ouf » soupiré et un cachet, alors qu’il vous inspirât (sauf erreur) ce savoureux et tragique pas de côté vers Dédale ?
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P
Les dames-aux-talons-militaires n'ont jamais eu ma faveur, vous l'avez bien compris ... il est bien possible cependant que Dédale fût déjà dans mes pensées, le mot "labyrinthique" pour qualifier son "itinéraire" m'incite à le croire. Mais oui, elle méritait cet opprobre - et ce clin d'oeil rédigé - pour avoir lié son passage éclair dans un petit coin préservé de tout à une migraine feinte ou réelle...<br /> Grand merci pour vos fidèles et généreux passages.<br /> P.