inactualités et acribies

A la recherche de mots perdus – 10

2 Janvier 2024 , Rédigé par pascale

 

En imprimerie, il arrive que plusieurs feuillets d’un ouvrage se soient détachés, désolidarisés, ils deviennent alors dépareillés, on ne peut les récupérer pour de nouveaux exemplaires, ils sont défaits et s’appellent des défets – un nom le plus souvent au pluriel, on comprend pourquoi : à l’unité on dit une feuille volante. Volons, advolons-nous, emblons sans nous anonchalir ni ardre – pas question, tel Icare, de nous volgrener – allons où il nous duit et sieut, mugueter les mots jolis. Certes, plus d’un s’en trouvera hurepé qui jupera et nous fernera, nous accusant d’être sorcuidiés – cette fois, je l’avoue, ce mot a disparu depuis plusieurs siècles – cela dérange les plans des plan-plan, c’est très agacinant.

Tant j’aime noctambuler en paperassant, fureter et dégotter quelque vionche à ressusciter comme aurait dit Louis-Sébastien Mercier, le plus grand livrier de France* ainsi s’appelait-il lui-même empruntant le mot à Rousseau, tant j’aime, noctambulant, entrer dans les palais d’Armide décorés de mots insoupçonnés et obscurs pour les en issir au grand jour de mes fièvres verbales méthémérines.  

 

Pour avoir ignoré ce que berquinade signifie, il s’en fallut de peu que je fisse erreur et prononçasse une sottise :  les yeux lisant la fin avec le commencement (un rare inconvénient de la méthode de lecture rapide), j’envisageai qu’une berquinade devait se rapporter à un débordement — une berquinade qui devient crue — ; je compris, reprenant un train habituel, que la crue n’y était point cette quasi-inondation que je crus, mais l’adjectif féminin synonyme de osée, graveleuse, grossière ou grivoise : une berquinade qui devient crue était, dans ce contexte, un roman à l’eau de rose, id est une bluette (réjouissant rapprochement de deux teintes pâlottes !), qui s’encanaille … Hors de question de faire le cunctateur, les choses étant ce qu’elles sont — quae cum ita sint — les significations aussi, on ne sursoit pas avec les mots en péril, on se deut qu’ils soient à l’abandon et sans tollir l’effort ni treschignier des dents ni tamoir, on s’active à leur doux parfum et désuet, on en odore les lignes, les pages et les espaces pour mieux les émailler de mots désaffectés, ils sont nôtres à jamais, pour toujours.

*in Rev. crit. 24 fév. 1877, p. 130.

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