inactualités et acribies
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Que les heures à venir vous soient essentiellement belles.

24 Décembre 2022 , Rédigé par pascale

 

 

 

 

Ghirlandaio – Adorazione dei Magi degli Innocenti circa 1485-1488

La construction parfaite. L’équilibre résolu. Splendeur des rouges et des bleus. Transparence dosée de la lumière. Luxe et douceur. Silences et présences.

 

 

 Dürer circa 1503-1504 -

Admiration sans fin pour Le Burin du Graveur (dédicace personnelle).

 

 

 

 

Cette Nativité est au couvent San Marco de Florence, plus sûrement de Fra Angelico mais possiblement de Gozzoli, un disciple – 1440.

Douceur des plis et tombés – Supériorité du simple.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

             Zurbaran – Nativité – 1636-1639 

 

 

 

 

 

Botticelli – circa 1476

Autre perfection qui confirme qu’en art le chef d’œuvre est unique. Mais autant de fois qu’apparaît le génie, il est plusieurs.

 

Le Brun – Adoration des bergers – 1689 –

Symphonique et souveraine.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Chagall - Le Père Noël- (1954)

 

 

 

 

 

 

 

 

 

           Chagall - Fantaisie de Noël - (1938)

 

 

 

 

 

Rubens (détail) - Seul le silence 

 

Gustave Doré – Circa 1880

 

 

Gauguin – 1902

Nativité  ou naissance ?

 

 

 

Chagall - toujours.

 

Georges de la Tour – Adoration des bergers – 1645

Le plus connu peut-être de cette galerie éphémère, aléatoire, fascinée … qu’à force de voir on oublie de regarder.

 

Il Caravaggio – 1609

L’introuvable. Volé et peut-être détruit par la Mafia sicilienne en 1969.

(Les recherches n’ont, cependant, jamais cessé)

 

Mélanges, miscellanées, miettes - 21-

17 Décembre 2022 , Rédigé par pascale

 

 

Bergerie, hostellerie, épicerie, garderie, confiserie, pâtisserie, crémerie, corderie, soierie, sucrerie, galerie, prairie, broderie, causerie, bouquinerie, chocolaterie, herboristerie, confrérie, cristallerie, verrerie, closerie, jardinerie, papeterie, librairie, cidrerie, orangerie, miellerie, fruiterie, diablerie, cuivrerie, brosserie, brasserie, écloserie, raffinerie, parfumerie, pelleterie, bijouterie, joaillerie, imprimerie, galanterie, espièglerie, cordonnerie, chamoiserie … donc b-l-o-g-u-e-r-i-e. Certes, des esprits mal tournés trouveraient des contre-exemples, mais ici, ils ne passent pas ; aussi, je ne dis pas « sur mon blog » beurk, mais « en ma bloguerie » … C’est quand même plus élégant ce me semble.

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Irrésistible : « Faut-il être un menuisier étourdi pour s’enfermer entre quatre planches ! » - Eric Chevillard.

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Le Wineglobe : la très laide trouvaille récente d’un maître de chais français, pour désigner les tonneaux de verre dans lesquels il envisage dorénavant de faire vieillir le vin … ce qui fait deux laideurs.

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Toute métaphore n’est pas bonne à dire surtout si elle se double d’une métonymie de la même espèce : « Et de fil en aiguille, je suis tombé dans l’alcool » !

Et dans la droite ligne – si l’on veut – des formules radotées qui sont des crucheries dont le seul et dérisoire mérite est de gonfler le sottisier que je constitue pour épingler la déliquescence de nos usages paroliers :  Un (ici lister tout ce que l’actualité propose de tristes sires connus ou inconnus), donc Untel « a été suspendu après avoir avoué …  (et là lister tout ce que l’actualité propose de comportements innommables et abjects) ». J’aimerais bien aussi qu’on nous dise à quel suspensoir et comment et par où on l’arrima. Ce suspens est parfois, avouons-le, un tantinet tendu.

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Un tichodrome échelette a élu domicile sur le donjon pour l’hiver.

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J’ignorais – mais n’en ai point confirmation, appel discret à qui de droit – j’ignorais que lors du centième anniversaire de la mort de Rimbaud, soit en 1991, quelques quidam(s) eurent l’idée bienmalvenue d’adresser, sous un nom d’auteur modifié, le manuscrit (tapuscrit ?) des Illuminations à cinq maisons d’édition françaises, dont on a la cruauté de préciser qu’elles sont parmi « les plus importantes ». Et que pensez-vous qu’il arriva ? Cinq envois, cinq refus. Tout autre commentaire serait de l’acharnement, aussi je me retiens. Sauf de dire, mais qui sont ceux-là qui se prennent pour juges et qui ne sont rien ?

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Dans Le Nouvel Observateur du 31 juillet 2014, on apprend, par Philippe Sollers que Willy disait du couple qu’il formait avec Colette :

 « Nous avons eu des parties de silence inégalables. » 

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Le dernier livre reçu par Colette en son lit de douleurs, fut Bonjour tristesse de Françoise Sagan avec cette dédicace : « À Madame Colette, en priant pour que ce livre lui fasse éprouver le centième du plaisir que m’ont donné les siens. ». Nul ne connut la réponse.

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S’il manque aux phrases d’un texte écrit en français – indépendamment de sa longueur, sa forme, du sujet qu’il traite, de son époque – s’il lui manque un rythme, une mélodie, des assonances, résonnances et échos, des rimes intérieures, balancements, ruptures volontaires – contre-pieds et contre-temps, asyndètes, syncopes – des allures ou tempo, cadences, silences, lignes harmoniques, ampleurs symphoniques, balancements et barcarolles, maîtrise de l’incise qui est une brièveté sertie dans le développement, sens de l’équilibre de la période latine, pirouettes et autres cabrioles tant par le génie propre des mots, que par l’infinité des possibles que les règles enserrent … s’il manque l’un ou l’autre ou plusieurs ou l’ensemble – ce qui fait passer du véniel au mortel – il ne vaut pas la peine : ni celle que l’auteur prit, anéantie par ce constat de carence, ni celle du lecteur, insurmontable dès les premières secondes. Mais si nous ressentons l’impérieuse nécessité de lire en articulant, à mi-voix, à voix haute, d’incorporer les phrases et le tout en nous levant et marchant,  serions-nous et surtout si nous sommes dans le plus grand silence alentour –  mais aucune nuisance sonore ne pourra jamais nous arracher à un grand texte – nous voilà dignes descendants des moines copistes qui bourdonnaient en écrivant ; nous sommes, à cet instant précis, serait-il de quelques pages ou quelques lignes, à-l’intérieur-de-nous-hors-de-nous, dans un trop-plein d’être inassouvi, au contraire de la frustration qui resserre, restreint, rabougrit, rapetisse et ravale l’esprit. Nous sommes alors une citadelle imprenable. Tout le reste, qui se peut concevoir au titre de la diversion ou du divertissement, devenus loisirs contemporains, tout le reste est négligeable.

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Pour passer de blâme à blême, il n’est pas même utile d’enlever son chapeau.

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« Vérifiant les bagages des voyageurs du car Vimoutiers-Lisieux à l'arrêt de Pontallery, les gendarmes de Saint-Julien-le-Faucon ont verbalisé contre M. Jean Laroche, employé de chemin de fer à Paris et saisi les 14 kgs (sic) 500 de beurre qu’il transportait. » (Source : Le Bonhomme Libre-Juin 1948).  Autres temps …

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         Dans l’interminable série « le stagiaire tient la plume » dans la presse locale – mais dans la nationale aussi : (…) « une autopsie ne devrait pas avoir lieu avant quelques jours. La date de ses obsèques, qui devraient donner lieu à un hommage ne peut donc être fixée à ce stade. »

         Ce qui donne en français lisible et ordinaire pour ne trahir ni l’auteur ni son niveau : « Une autopsie aura lieu dans quelques jours. La date des obsèques à laquelle un hommage lui sera rendu, n’est, à ce jour, pas encore fixée. »

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Picorées gourmontiennes (In L’Ermitage et Promenades philosophiques)

  • Un imbécile ne s'ennuie jamais : il se contemple.
  • La plupart des hommes qui disent du mal des femmes disent du mal d'une seule femme.
  • L'intelligence n'est peut-être qu'une maladie, une belle maladie : la perle de l'huître.
  • Il a connu Claude Bernard, Flaubert, Barbey d'Aurevilly, Goncourt, Manet, Villiers de l'Isle-Adam, Renan, Taine, Pasteur, Verlaine, Tarde, Mallarmé, Puvis de Chavannes, Marey, Gauguin, Curie, Berthelot ; il connaît Rodin, Ribot, Renoir, France, Quinton, Monet, Poincaré, — et il se plaint ! Il crie à la décadence de sa patrie : Ingrat  
  • Je n'ai presque jamais copié une citation moderne sans m'apercevoir à la troisième ligne combien c'était mal écrit.

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Du même, in Des pas sur le sable (1914) : « Quand un peuple n'ose plus défendre sa langue, il est mûr pour l'esclavage. »

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A l’instant où je m’apprête, suivant l’invitation de l’ordinateur par moi sollicité, à couper un passage de document pour le copier ailleurs, j’hésite et suspends ma main au-dessus du clavier, telle la lame de la guillotine ou le bistouri du chirurgien : ce jour, il s’agissait de consigner que le peintre Manet mourut amputé du pied gauche. Il ne fallait pas que je rate mon coup (de pied ?) n’est-ce pas ?

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Entendre le toit bruire sous la pluie ou entendre la pluie bruire sur le toit ?

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Mise en abyme d’un lapsus :

— oh ! un chou Roudinesco ! 

— Non, Romanesco !

— ah ! oui, suis-je bête Roudinesco !

… et là, je m’enfonce dans l’abîme de l’abyme ou comment faire un lapsus psychanalytico-mathématico interminable : Elisabeth Roudinesco est, comme on sait, l’historienne « historique » du freudisme et du lacanisme. Le chou romanesco dans sa teinte vert pomme et par sa construction en fractales, un chef d’œuvre géométrique de sculpture végétale. L’un à l’autre qu’ont-ils à se dire qui passerait par moi ?

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Les inavouables – nouvelle rubrique ? :

— Dali : « Louer une petite vieille bien propre, au plus haut degré de décrépitude, et l'exposer habillée en toréador, en lui posant sur la tête, préalablement rasée, une omelette fines-herbes : laquelle tremblera par suite du branlement continu de la petite vieille. On pourra aussi poser une pièce de vingt francs sur l'omelette. »

— Breton, Clair de terre : « Et j’avais, pour ma consolation philosophique, le souvenir de l’homme qui, consulté sur ce qu’il aimerait qu’on fît pour lui quand il viendrait à mourir, demanda qu’on plaçât dans son cercueil une brosse (pour quand il tomberait en poussière). ».

Dans le Journal de Claudel : « Chaque élection ouvre une vue d’ensemble sur la bêtise et la méchanceté des Français […]. Peut-on imaginer un système de gouvernement plus idiot que celui qui consiste à remettre tous les quatre ans le sort du pays […], non pas au peuple, mais à la foule […]. Tous les quatre ans la France désigne ses représentants dans un accès de catalepsie alcoolique. » cité par Morand dans le Journal inutile.

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« Afin de mieux connecter les élèves entre eux, sur le plan humain, des bancs de l’amitié sont disposés dans certaines cours d’école. À M… la formule fonctionne depuis quatre ans. »

Ciel ! et qu’avons-nous fait ailleurs et avant sans formule et sans bancs bien disposés ? point d’amitié dans les cours d’école ? Il faut, au génie qui fit cette trouvaille, la reconnaissance de la nation ! Notons que l’usage du verbe « connecter » oblige à préciser « sur le plan humain » … et que, bien sûr on n’échappe pas à un pléonasme « connecter … entre eux » !. Soudain, grosse fatigue !

 

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Ce Rondel si beau – in Poésies de Charles d’Orléans – 1391-1465 – qu’on apprit un jour tout entier mais dont on n’en retint seulement : « Yver, vous n’estes qu’un villain ! ». Cet autre, découvert dans la même jolie et simple et cousue édition de 1926 : Le monde est ennuyé de moy/Et moy pareillement de lui:/Je ne congnois rien aujourd’ui/Dont il me chaille que bien poy. (1ère strophe).

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Prononcez souffle, prononcez siffle et vous savez pourquoi vous ne pouvez les confondre.

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Dans un texte pourtant de haute tenue « Nobody’s perfect » vient ponctuer une longue réflexion : nous sommes là, précisément, au cœur de la lutte. Voici des intellectuels – un aréopage de psychanalystes – dont le niveau d’expression écrite et la culture sont au-dessus du commun, mais qui remplacent une expression française par une anglaise, qui plus est, exactement équivalente, pourquoi ? mais pourquoi donc ? Illustration d’une imprégnation totale (et irréversible ?). Personne n’est parfait, en effet !

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« Dans la mesure du possible, j’évite tout contact avec moi-même. Hypocondrie. » Eric Chevillard.

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Le virus appelé « corona » en raison de sa forme en couronne, est un nom commun masculin en français. Le renommer « corona virus » et même « coronavirus » est déjà une facilité de type anglobal, et l’on aurait dû garder la construction française « virus Corona » comme pour d’autres – le virus VIH, Ebola etc. ; en revanche, la maladie qu’il provoque – la Covid – est féminin en français (qui, faut-il encore le rappeler, distingue le masculin du féminin)  en raison de la règle d’accord suivante, qui n’est pas un caprice récent : dans le cas d’un sigle ou d’un acronyme (corona virus disease) c’est le genre du nom constitutif du sens du syntagme que l’on retient, soit ici disease, maladie, féminin en français à l’instar de la CIA, qui est l’Agence (féminin) centrale d’Intelligence, à l’inverse du FBI, le Bureau (masculin) fédéral d’enquête. Voilà trois ans, trois ans … que l’on entend mille fois par jour la même la même la même faute … et que nous sommes une poignée à dire la Covid.

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Pierre Michon in Tablée : « Le chapeau voilà le génie »

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Diderot, Salon de 1769 : « Valade … qui n’est pas un peintre pauvre, mais un bien pauvre peintre » Puissance toujours indépassée du chiasme (prononcer kiasme, merci).

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On appelle poulier, dans le département de la Manche, un amas de galets roulés par la mer, le long des côtes crayeuses. Avant d’y parvenir, vous avez pu voir quelques ragosses – qui sont, en Basse-Normandie, le nom féminin de l’arbre étêté.

Le mulon, par ailleurs, est un tas (de sel extrait d’un marais salant, de sable ou de foin dressé en forme de meule.)

Il est difficile d’avoir les trois en un même lieu, sinon la page où l’écrire.

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Justement, de Barbey d’Aurevilly depuis la Normandie, et picorés au hasard de son Journal : « (un temps) spleenétique » – « (un bain de pieds brûlant et fortement) sinapisé » – à Caen « (levé vers 11 h etc.) déjeuné avec des huîtres » – plus loin, « allé à Luc – Lucques – sur mer en tilbury découvert lancé au galop » – toujours à Caen : « dîné : n’ai mangé que des huîtres de rocher. »

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Ponge : « La poésie est certes le résultat d’une maladresse, d’une confusion de mots, d’un rapprochement de racines (plein de goût) ».

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L’apagogie ou démonstration par laquelle on fait voir la vérité d’une proposition en prouvant l’absurdité de son contraire a toutes mes faveurs. A cela on connaît aussi l’élégance intrinsèque d’un raisonnement mathématique.

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La baisure est le côté par lequel deux pains se sont touchés dans le four. Ce mot est une croustillante perfection !

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Rivelin est le nom perdu que les marchands de chaussures donnaient aux souliers détériorés par une longue exposition, qu’ils cédaient, en conséquence, à bas prix.

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Dans Salon de 1859, Baudelaire :  Corot, antithèse absolue, selon lui, de Rousseau (le Douanier) car il n’a pas assez souvent le diable au corps.

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Menacée d’extinction, l’huître plate pourrait revenir dans les assiettes. Ostrea edulis, vieille de plusieurs millions d’années, fait l’objet de toute l’attention des scientifiques et conchyliculteurs français qui tentent de restaurer les derniers bancs sauvages de ce mets d’exception.

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         J’en demande pardon aux lecteurs délicats, mais ce que je reproduis – in extenso et, las ! fidèlement – mérite une indignation partagée :

« La démocratie écologique passe effectivement par la prolifération des espaces discursifs. C’est pas (sic) surprenant que la dimension subversive de cette manière d’instituer nos interactions avec le territoire suscite une contre-offensive à la hauteur de la déprise que ça implique pour les actuels bénéficiaires du productivisme. » Ce genre de chyme est particulièrement développé chez des auto-proclamés chercheurs, qui se refilent des feuilles de chou illisibles en leurs cercles étroits. Irrespirables.

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La Princesse Palatine traitait Madame de Maintenon – la veuve Scarron – de tous les noms, dont guenippe – qui semble pouvoir s’orthographier guenipe – soit, une femme de mauvaise vie. Admettons. Notre intérêt se porte sur l’origine possiblement normande de ce terme – gouenipe – dont une des déclinaisons – gouine – faisait, en ce pays de brouillards, un synonyme non péjoratif de « femme ». Chacun sait que Madame de Maintenon a vu le jour à Niort. Aussi ce lien ténu, caché et incertain avec la Normandie nous plaît, avec quelques autres. Comprend qui sait.

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Mots croisés malins : il tua la moitié de l’humanité : Caïn

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« J’ahanerais volontiers sous une langue à scansion de rémiges, au vol ramé, à la cadence d’amble » Daniel Klébaner in Le désert et l’enfance (Champ Vallon, 1988),

dans lequel je trouve aussi ces mots jolis : le « justement » pour dire quelque chose qui sonne juste ; le pourvoiement (de la rencontre toujours opportune) ; l’écriture est un revenu qui vient en dormant ; Partout, levant les yeux, l’on voit une main courante de mansuétude ; l’absentement de la voyelle ; une somptuosité par défaut en quoi je lis et vois une approche au plus près de la perfection, l’absolu peut-être, par défaut d’inélégance, de déséquilibre, de dysharmonie, de vulgarité, par excès de distinction, de politesse, de beauté même. Tels sont certains alexandrins classiques aussi les audaces poétiques d’après, insolences syntaxiques gaillardes, énergies d’écritures à l’estomac, ou impertinences métronomées.

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Je ne cesserai jamais d’affirmer que la pensée est une conquête du langage dans lequel elle se loge et demeure.

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« Une société qui supporte d’être distraite par une presse déshonorée court à l’esclavage » Camus

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« Je me suis prise dans les barbelés d’un roman policier américain. Ce n’est pas un mince danger que ces romans en chemise jaune et noire » In OC Colette Pléiade t IV – notes et variantes pour Paris de ma fenêtre, note 1 pour la page 614.

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On les appelle les midinettes, parce que, travaillant loin de chez elles et n’étant pas fortunées, elles se contentent à midi d’une dînette, un repas rapide pris sur le pouce. Elles travaillent dans les ateliers des maisons de couture parisiennes, tirant l’aiguille à longueur de journée (10 heures de travail quotidien) pour confectionner les robes sur mesure des riches clientes, souvent oisives. (début du 20ème siècle, les années 1917-18)

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La défiguration d’un philosophe.

11 Décembre 2022 , Rédigé par pascale

 

Il faut redire notre gratitude aux patrons d'échoppes emplies de livres jusqu’à la gueule, ouvertes le dimanche et les jours fériés, où l’on peut flâner sans savoir ce que l’on cherche – ce qui est la définition même de la flânerie – mais où l’on trouve surtout ce à quoi l’on ne s’attendait pas. En ce lieu – j’ai ma préférée, et même ma seule, en bordure d’Atlantique – quand vous entrez, on ne vous demande pas ce que vous êtes venu acheter. Certes vous avez vos points cardinaux préférés : Littérature inconnue et inlue française des 19ème et moitié du 20ème siècle, ses auteurs oubliés ou leurs opus moins connus ; toute Poésie ; Pléiades état parfait toujours ; Philosophie. Pour d’autres moins sectaires que moi, il y a tout le reste, l’immensité ! Le tenancier vous dégote hic et nunc – ou vous a dégoté depuis quelques jours – une perle et l’a tenue au secret jusqu’à votre passage. Il est patient et prévenant. Il sait que vous viendrez et fait chauffer le café.

Et la trouvaille n’est pas toujours celle que l’on croit. Après avoir refait le monde – le monde des livres, la plupart du temps – et celui de la fatuité de nos contemporains, redit et vibré à son amour inconditionnel pour la gente féline, avoir reconnu – à force – ses amis passant là juste pour l’embrasser et qui vous reconnaissent à leur tour, vous entreprenez une perquisition en règle, munie d’une curiosité qu’il ne faut ni borner ni présélectionner, n’est pas archéologue en bouquinerie qui veut. Ainsi, dans le rayon le plus insusceptible d’invention – au sens, hélas perdu, de mise au jour – pour moi, celui de la Philosophie, où j’avoue être en bonne place dans la compétition, je dénichais une sorte de narration biographique des derniers mois de la vie d’un philosophe dont j’aime l’âpreté, la rigueur, l’exigeante exactitude, à l’opposé de son existence construite, si l’on peut dire, sur des ruptures, défaites et défis ratés. Le petit livre se cachait dans une pile encore à terre et non triée, l’acquisition toute fraîche d’une « bibliothèque » de philosophie l’expliquant et pour moi, le plaisir d’écrouler d’une main le petit échafaudage reconstitué instable de l’autre.

         Il faut le dire tout de go, l’affaire ne tient ni dans l’écriture – fort terne et, défaut majeur et contemporain, qui tire à la ligne en descriptions inutiles et plates de détails qui n’apportent rien à l’ensemble – ni dans l’exégèse, absente, de l’œuvre philosophique du « personnage », alors quoi ? Ce qui fit le prétexte et le fil de cet opuscule et que j’ignorais, parce qu’en son œuvre cela n’est jamais dit et que les biographes passent en courant d’air sur ce « détail » quand ils n’en font pas totalement abstraction, il fallut le retrouver en quelques lignes définitives, chez le meilleur d’entre eux, R. Monk. J’appris que le philosophe fut, pendant un an, condisciple d’Adolphe H, à la Realschule de Linz. Il ne m’en faut pas plus pour me lancer dans tout ce qui peut et a pu se dire sur la question, la longueur du temps passé ne supposant pas le succès de l’opération.

         Les deux élèves – Adolphe H. et Ludwig W. – six jours d’écart au calendrier mais  deux années scolaires, dans le même établissement en 1904-1905, cela fait peu pour nouer des liens ; l’exclusion d’Adolphe, pour indiscipline et manque d’appétence pour le travail, ne pouvait en faire un allié, encore moins un camarade, en aucun cas un ami de Ludwig, lequel, dans le petit livre arrangé comme on parle du rhum arrangé dans les îles c’est-à-dire, amélioré, aromatisé, accommodé en seule vue de plaire au goût, lequel devient le personnage inventé d’une enquête imaginée à la toute fin de sa vie. Quelques détails vrais font tenir l’ensemble : ses derniers jours où, malade du cancer il est recueilli chez les Bevan à Cambridge, le mari étant son médecin, l’épouse son amie devenue, ce n’était pas gagné ! Il n’y a, évidemment, aucune valeur épistémologique, nonobstant quelques oasis biographiques exacts, à cet ouvrage. Le credo éditorial de la collection en fait foi : « Des récits subjectifs, à mille lieues de la biographie traditionnelle ». Nous voici prévenus du seul prétexte qui justifie que Ludwig Wittgenstein, authentiquement contemporain d’Adolphe Hitler à Linz pendant l’année scolaire 1904-1905, devienne le personnage factice d’un récit inventé dans lequel des passages de Mein Kampf, où Hitler parle d’un jeune Juif dont il aurait fait connaissance en sa jeunesse, ne pourront nous convaincre qu’il parle de Wittgenstein et/ou de lui seul. Ce petit livre au titre très musilien – Le Désarroi de l’élève Wittgenstein – quelle que soit son habileté à entrelarder biographèmes et inventions, dérange la pratiquante de l’œuvre du philosophe, pervertie pour servir un intérêt narratif fictionnel. Alors que le Tractatus logico-philosophicus – œuvre majeure et seule publiée du vivant de Wittgenstein – s’achève sur la célèbre formule qui est tout sauf un aphorisme mais un concentré de l’entièreté des raisonnements ultérieurs, Tout ce qu’on ne peut dire il faut le taire, et suppose une réflexion aiguisée tant sur le langage que sur la vérité, celle-ci est inversée pour supporter l’idée d’un soi-disant indicible secret, daté de l’année à Linz pour devenir « Ce qu’on ne peut taire, il faut le dire ». Le Wittgenstein, personnage inventé, se met à envisager une explication rétroactive et pseudo-psychologique pour l’authentique formulation philosophique de l’autre Wittgenstein, dont toute l’œuvre s’écrabouille alors contre le mur du pressentiment invérifiable, lequel, pour faire plus sérieux, serait celui d’un aveu inconscient. Car il est vrai, pour qui retourne au véritable Wittgenstein, qu’il lut Freud vers 1919 et en parla en termes de sagesse et de séduction, ce sont ses mots. Mais ce n’est pas une raison, pour le dire simplement, pour tordre mille fois et l’histoire et la biographie et une œuvre philosophique de haute volée.

         Autant le dire, le Tractatus est relu au filtre de Mein Kampf, et inversement, de manière indolore, ce qui est une escroquerie intellectuelle sous couvert de vraie-fausse biographie, de roman, de littérature. Wittgenstein, complice d’Hitler, pour n’avoir rien dit de ce qu’il aurait appris de l’élève Adolphe, en confidence, 14 ans chacun, alors que ce dernier évoluait à un niveau écolier deux fois inférieur. Qu’il existe une photographie sur laquelle les deux garçons sont présents, est en-deçà d’insuffisant.  Les spécialistes ont démoli l’imposture. Il est certain, en revanche, que le lecteur lambda auquel on ne peut en vouloir, pourrait se laisser prendre à ces pièges très bien ficelés.

[Cf. archives :3 novembre 2021 : Wittgenstein, la cafetière et le geste auguste du facteur]

ou comment les approximations fâchent un esprit acribique.

6 Décembre 2022 , Rédigé par pascale

 

(…) ergo sum

                          chacun reconnaît là les deux derniers tiers de l’affirmation cartésienne la plus célèbre et la plus malmenée de la philosophie française, détachés du syntagme latin, Cogito ergo sum, si régulièrement tordu pour parvenir à des fins dont il ne procède pas ou plus banalement pour … frimer. Ce morceau amputé depuis le corps tout entier — pris pour la conclusion alors qu’il s’agit de la conséquence de la question de l’identité confondue alors avec l’existence — est constitutif d’une double erreur grossière reportée, évidemment, sur l’ensemble. Bien que la traduction je pense donc je suis s’ajuste au latin sans difficulté apparente quand on s’abstrait des raisonnements longs et exigeants dans lesquels elle s’insère, manquant alors la signification forte – celle de Descartes justement – du verbe esse sur laquelle elle repose, elle vérifie la célèbre paronomase, traduttore-traditore, il ne s’agit pas d’un écart acceptable mais d’une faute lourde philosophiquement parlant : ces deux verbes être (en français), esse (en latin) ne ressortissent pas à la pensée comme une probation d’existence, ils ne font pas la preuve que j’existe - car j’existe, bien sûr – mais établissent l’équivalence logique et ontologique irréfutable entre le-moi-sujet et la-pensée.

         Je suis sum en latin — 1ère personne du singulier du présent de l’indicatif du verbe esse : ceci pour les non-latinistes auxquels on précisera que le pronom « je » n’y est pas « sous-entendu » comme on l’apprend en classe, mais contenu tout entier ; en disant « sous-entendu » on lit et fait lire le latin à partir du français et non à partir de lui-même. Or, il n’y a aucune autre possibilité de traduire sum en français qu’en lui « extirpant » pour l’antéposer, le pronom personnel « je » ; il en est toujours ainsi —aucun verbe ne déroge. J’entends les latinistes revenir à la charge ou à la décharge, pour rappeler la présence occasionnelle ou contingente de « ego »1 qui, précisément, se rapporte à celui qui se (re)tourne vers lui-même, passant du je au moi, au moi-même, au moi-même-du-moi ; si étrange ou étranger à moi que je puisse sembler être quelques fois,  je suis toujours moi dans mes perception, conscience, sensation brouillées, atomisées, altérées – ce dernier mot faisant droit au sentiment légitime et prégnant, parfois, que quelqu’un d’autre que moi est en moi, ou agit en moi voire en dépit de moi, jusqu’à consentir à l’illusion commune qu’il n’y a plus de « je » pour pénétrer cet impénétrable, qu’entre les deux « juridictions » il y a rupture, étanchéité. Des formules dorénavant très ressassées (« j’ai pété un câble » ; « je n’étais plus moi-même » ; « je ne sais pas ce qui m’a pris ») en témoignent. Outre qu’elles posent un problème de responsabilité nous dédouanant à peu de frais par toutes formes d’excuses (« j’ai des problèmes » ; « je n’étais pas en forme » ; « je suis malade … amoureux … jaloux … alcoolique, etc. ») ce qui n’est pas notre objet ici, elles sont avant tout un moyen plutôt efficace d’annuler avant même de la poser la question essentielle : « qui suis-je ? ». Affirmer à l’envi « Je pense donc je suis » ne suffira pas.

Soyons cartésien stricto sensu, non pour arranger une démonstration que Descartes n’aurait pu valider et le convoquer pour servir ou desservir une difficulté qu’il n’a jamais abordée, et commençons par faire vœu de clarté. Le Discours de la Méthode — où le cogito comme disent les familiers des textes et de l’auteur, est inséré en son quasi centre géométrique et en français, sa langue d’écriture — loin d’être un texte autonome ou indépendant, est l’Introduction au triptyque scientifique inconnu des non spécialistes : La Dioptrique, Les Météores et La Géométrie. Ceci pour arrondir les angles de lecture et ajuster les besicles de ceux qui, un jour, ont mis le nez dans cette œuvre majeure à tous points de vue, pour n’en retenir que … trois mots latins qui n’y sont pas ou cinq français portés sans précaution au pinacle de toute référence philosophique.

Il faut y aller voir de très près. On ne s’approprie pas un montage rationnel aussi parfait sans savoir d’où il vient, de quoi il procède, sur quoi il s’est construit 2, car la prudence tant historique que philologique n’est plus de mise et « le cogito », objet domestique de tout philosophe en herbe devenu, s’est mué en objet non identifié voltigeant par-delà les siècles, les concepts, les significations, les précisions et les difficultés par assuétude ou satellisation des esprits mis en orbite autour de leur propres faiblesses ; ainsi est-il devenu l’abréviation métonymique la plus rabâchée, vidée de toute densité, vainqueur haut la main du concours Lépine des citations.

C’est dans les Méditations, – précisément la Meditatio secunda – présentées par une « Préface de l’auteur au lecteur » souvent omise des éditions courantes, rédigées en latin, ce qui n’est pas sans importance, et postérieurement au Discours, que l’on va croiser une autre formulation fort intrigante : ego sum, ego existo. On s’étonne qu’on ne s’étonne pas. Exit ergo, intrat ego : suppression du rapport logique et ontologique au profit de la stricte équivalence entre être et exister, aussitôt mise à mal, il faut toujours lire un peu plus loin. Que je sois ou que j’existe, cela appartient-il au même champ de certitude ? Celle d’exister va de soi, celle d’êtrece que je suis/ quisnam sim – beaucoup moins. Ma nature de sujet s’éprouve comme une insatisfaction première, chronologique et ontologique. Que suis-je ? 3 demande Descartes, moi qui suis certain que je suis. Ce « moi » - ego ille – étant une condition préalable résolue – dans la Première Méditation et dans le Discours – il reste, si l’on peut dire, à établir à quelle indubitabilité supérieure il faut corréler ce je suis ; rien à voir avec un questionnement shakespearien ni quelque angoissant effondrement moral, encore moins une proposition de lecture psychanalytique des textes qui interrogerait Descartes sans user ou plutôt sans maîtriser les outils-philosophiques-de-Descartes. Précisions.

On oublie un peu vite, et peut-être ignore-t-on, qu’il y a un préalable et modèle impitoyable et contraignant à la méthode cartésienne : la certitude mathématique érigée en archétype de toute certitude. Il n’y a pas lieu de le déplorer, pour les deux raisons suivantes : la première appartient à l’ordre biographique – la psychanalyse, surtout quand elle fait de Descartes son contre-exemple favori, ferait bien de regarder de près la part avouée et la part réservée qu'il fait à l’enfance dans ses textes 4; la seconde appartient à l’ordre philosophique pour lequel, ce que la raison érige par elle seule, indépendamment des convictions, opinions y compris des savoirs transmis par la seule autorité des maîtres, trace un chemin, une méthode, d’accès au vrai. Les mathématiques sont ici un parangon de certitude, on ajoute indubitable sans risquer le pléonasme, nos certitudes habituelles étant toujours susceptibles de supporter le doute. Descartes, dès la Préface des Méditations met les choses au point :  dans son intention durable et cela depuis le Discours, il n’a eu de cesse de montrer qu’il n’y a aucun autre savoir à propos de (mon) essence sinon que (je suis) une chose qui pense, ou une chose qui a en soi la faculté de penser. On ne le dira jamais assez et pour ma part, je ne cesserai jamais de rectifier les reproches infondés qu’on formule contre lui. Traduisons à l’usage des interprètes déloyaux – j’appelle ainsi tous ceux qui soumettent à leur usage tout raisonnement, travail, réflexion, qui ne peut accueillir ce qu’il n'a jamais conçu :  on l’a peut-être compris, je m’insurge ici contre une utilisation frauduleuse du travail philosophique de Descartes, dont une occasion supplémentaire me fut donnée récemment, dans un texte où l’on parlait de « l’insuffisance de la distanciation » vis-à-vis de soi-même qui a mené Descartes à considérer les animaux comme des êtres dénués de toute pensée. A quoi le signataire s’autorise ce jugement ahurissant : Descartes aurait peut-être pu éviter cet écueil s’il avait poursuivi plus avant sa démarche de distanciation par « j’ai conscience que je pense, donc je suis » ce qui lui aurait permis de laisser aux animaux la possibilité de penser. Précisément, Descartes ne peut éviter un écueil qu’il ne rencontre pas ; c’est très mal connaître la subtilité de sa pensée et son mode d’écriture tout en reprise et de laquelle elle procède, y compris la peine qu’il se donna – une rareté à l’époque – de soumettre ses textes à l’examen critique des plus hauts esprits de son temps et de rédiger de longues réponses à leurs objections. C’est méconnaître aussi, ce que, avoir conscience signifie à l’époque – dans tous les cas, rien qui puisse s’apparenter à une instance psychique. Pour trouver le cogito assorti au sum, il faut ouvrir les Principia philosophiae (I,7)5 ; on lit alors ego cogito, ergo sum, qui ne fait pas de la nature de l’homme – ce qu’il est quel qu’il soit, sous toutes les espèces, pour le dire comme Aristote – un être conscient de ce qu’il pense, mais de cet énoncé une vérité absolument indubitable. Prenons-le, comme il se peut la plupart du temps en latin, en commençant par la fin : je suis donc une essence – ergo sum – par la disposition et l’usage d’une pensée, en propre, en moi-mêmeego cogito. Non seulement jamais Descartes ne « réduit » la pensée à la pensée consciente, mais son œuvre toute entière est parcourue d’exemples, d’illustrations, d’hypothèses et de propositions d’usages de la pensée étrangers à toute rationalité (les rêves, le doute hyperbolique …). Il sépare franchement la ratio essendi de la ratio cognoscendi, la seconde – la démarche, la méthode, calquée sur les mathématiques – permet d’établir la première, elle ne la recouvre pas.

         Faut-il dire, comme on le lit parfois, que Descartes inaugure une nouvelle subjectivité, ou, bien plus grave, l'émergence d'un individu capable de penser par soi-même 6? c’est le tirer où il ne va pas, faire un abus de lecture au prétexte rudimentaire – insupportable et stupide selon moi – qu’il y aurait toujours des idées implicitement à venir chez ceux qui précèdent les novateurs du moment, la pire acception du mot « interprétation » laquelle est fort répandue dans les exercices scolaires qui font demander aux élèves « ce que l’auteur a voulu dire » mais jamais « ce qu’il a dit ».

 

         1. qu’une oreille non latiniste ou latiniste fatiguée, entend encore dans « égoïsme », « égotisme », « égocentrisme ». 2. à cet égard lire – pour les contextes littéraire, religieux, intellectuel en général – le chapitre 12 de La diplomatie de l’esprit de Marc Fumaroli, sous-titré « de Montaigne à La Fontaine » un monument ! (Hermann – 1994). 3. ce qui ne peut se substituer à qui suis-je ? 4. Elle est immense ! Par ailleurs, nous savons que, jeune élève des Jésuites, Descartes brillait en mathématiques5. 1644. Et, pour mémoire, Discours de la Méthode 1637, traduit en latin en 1644, édité pour la 1ère fois en cette langue seulement en 1657 – Descartes était mort depuis 7 ans - ; Méditations métaphysiques 1641. Le procès de Galilée est encore dans toutes les mémoires, l’homme condamné par l’Eglise, mourra en 1642. 6. à ce seul critère, Socrate est, chronologiquement et philosophiquement le premier !

Reflets

2 Décembre 2022 , Rédigé par pascale

 

 

 

L’yver aux pieds nus

fondus en blanche herbette

tant froide qu’à parler

en terre les mots gèlent.

*

 L’encre de la mer couleur de violette

où se mouillent mes doigts

et barbouilleurs de brumes

un ciel lie-de-vin qu’emboit le monde gris.

 

*

         Aux balcons si rouillés tant ventrus et baroques

         s’agriffe la lumière des soirées siciliennes

         en fragiles virgules balancées dans le noir.

        

*

Effleurée de bleu, la jacinthe

d’un mince trait de plume

et le lin blanc du soir.

 

*

Je soufflais sur les braises

et l’angelus se mit à sonner.

*

 

L’automne dessine à la feuille d’or

ce que j’écris à l’encre noire.

 

             *           

Poussière pruinée de bel envol

devant dedans de moi

quelque chose a passé.

*

Toujours le silence balbutie un peu

avant de vaciller

et de ronger l’écrire.

 

*

Je rêve de folles chevauchées dans les bois de santal

croque-mitaines mangent mes yeux

où tombent les freluches

de soie de verre de glace

s’arrêtent et se retournent

mes mots

se regardent écrire,

étonnés d’être là tout au bord du volcan.

 

*

 

Il est venu le temps de l’absence de l’oubli

de l’escapade heureuse

fou le vent fou

fait ramper dans les champs l’odeur bleuâtre du vinaigre.

 

*

 

Sous ses semelles de sable poussaient des mimosas

aux mille cents grains de poivre d’or

 

et brûle le cristal du froid impossessible

dans l’antre-noir.

*

 

 

Cher Christian Bobin : lettre perdue retrouvée

25 Novembre 2022 , Rédigé par pascale

Il faut que je vous dise : je viens de retourner ma maison, vraiment, pour retrouver la seule preuve de notre correspondance passée. Mon envoi, disparu – où est-il aujourd’hui que vous avez trouvé un arrangement avec le ciel pour rester avec nous mais autrement ? – et votre réponse, si précieuse qu’elle se cache, discrète comme vous. A elle seule, elle pourrait faire un grand livre à deux pages, recto/verso. Je n’ai jamais osé y répondre à mon tour, c’était avant-hier, aujourd’hui je crois bien que je le ferais ; j'ai glissé la feuille dans une pochette plastifiée pour qu’elle ne s’abîme pas, que le beau noir de votre belle écriture ne pâlisse pas. Mais voilà, quelques déménagements plus tard, je suis devant des cartons entiers de « documents papiers » par milliers, je dois le dire, dont les contenus ne trouvent pas de place – les murs sont recouverts de livres – il leur faut rester à terre. Vous êtes forcément au milieu de l’un d’eux, entre qui et quoi ? 

Ce 28/11/2022, après-midi : 

réapparue du fond du tiroir de la petite table noire, elle n'était

ni tout à fait cachée ni exactement visible, tenant tête à mon entêtement

et donnant raison à qui me disait que je la retrouverai. Nécessairement.

En voici les premiers et derniers mots.

(je remarque que l'objurgation à ne pas renoncer n'était pas finale mais initiale, comme une urgence à dire) 

Je n'enlève, bien sûr, pas un mot à ceux posés là,

il y a un peu moins de trois jours.

 

 

 

 

 

Quand elles ne sont pas tapées à la machine – en leur temps – ou à l’écran et imprimées désormais, mes notes sont écrites au crayon. Il devrait être facile de repérer au milieu de ces Everest l'unique feuille où les mots se distinguent, posés par une plume. Il en est des écritures comme des âmes, ce mot qui vous va si bien. J’en connais, hérissées telles des oursins, rien qu’à les lire on se pique le cœur, si l’on peut les lire tant elles sont insondables dans la main qui les tient. La vôtre – mais je vais la retrouver votre lettre, j’en suis certaine, je vais la retrouver ! – était généreuse, belle. Vous me parliez de « la neige » de mes mots, et l’acheviez en m’intimant cette douce obligation à laquelle je soumets tout mon être : « Ne cessez jamais d’écrire ».

Cher Christian Bobin, il me semble que vous êtes parti quand même un peu trop vite, un peu trop tôt, sans prévenir. Tout le monde va le dire et sur tous les tons, que ce n’est pas bien de nous avoir fait ça. Moi qui ne suis rien, sinon le temps d’une lettre devenu éternelle de l’avoir écrite-pour-moi, oui, moi seule, je vous lis, vos phrases, vos mots simples et lents et si profonds, et si intenses, sans la moindre concession au siècle bruyant, remuant, devenu laid, j’entre alors dans la closerie de la lecture, le monde dût-il s’écrouler.

Je vous sais dans un silence si beau, de plumes et de flocons.

Ce 25 Novembre 2022, nuit et froid.

L’invisible senteur de la pluie.

22 Novembre 2022 , Rédigé par pascale

 

 

Un mot rare – mais c’est beaucoup plus rare – n’est pas toujours un mot perdu. Ce n’est pas non plus gagné, il peut être nouveau et inconnu, surtout s’il ne provient pas de grimaçants emprunts à l’anglobal, empreints eux-mêmes de sottises et de suffisances. Et non ! tout n’a pas été dit, le dernier mot de ceux qui n’abdiqueront jamais n’est jamais le dernier. Aussi, des trouvailles-bonne pioche sans gratter ni labourer les terres fécondes et anciennes des textes qui n’ont plus cours mais les sols arides contemporains, se raréfient. Nous disons bien « trouvailles » au sens d’astuces, de traits, d’innovations, d’inventions, non de trésors … i.e re-trouvailles, telle la récente berquinade – vocable qui rendrait tant de services aux rédacteurs de notices littéraires et leur ferait économiser bien des efforts, à moins que l’art de ne rien dire d’un roman qui lui-même ne dit rien soit un exercice rémunérateur. Exit la précise et cinglante berquinade dans ce cas, qui sous ses allures plutôt douces en commençant comme le Bernin, ou, plus modestement le ber, pièce essentielle de l’architecture de tout bateau, semblablement à un berceau dans quoi tout se fait et se joue et se lance, mais finit en capilotade ou en embuscade. En raison de ce qui lui donna le jour, la berquinademot fort usé au 19ème siècle mais dont le genre a toujours sévi – suffit pour désigner les sucreries livresques boursouflées par le néant qui donne une prétention générale inversement proportionnelle à leur qualité littéraire. Voici un mot perdu que nous pouvons retenir pour achever – au sens le plus fort – avec une belle sobriété de moyens, la grande majorité de ce qui se vend de nos jours sous le nom de romans.

Adonc un mot qui ne vient pas de l’anglais – mais que l’on doit à des anglophones – un mot qui n’a que quelques décennies d’existence, un mot qui danse et rime avec Terpsichore, passiflore, éclore, aurore, qui sent la terre, la pluie, l’argile, dont la double racine grecque s’entend et se lit – loin des textes scientifiques qui furent les premiers à le nommer – et l’une, dans ses meilleures acceptions, signifie le sang des dieux ou des déesses et qu’Homère emploie, ichor, χώρ, parlant d’Aphrodite et à laquelle nos deux Australiens ont adjoint πέτρα, pétra, la pierre – un était minéralogiste ;  un mot pour ne pas perdre les lecteurs au milieu des actinomycètes et autres bactéries chimiquement (re)composées à partir de matière organique en décomposition ? Le duo trouva, conçut, cousit pétrichor.

Le pétrichor ne se touche, ne se voit, ne s’entend, ne s’attrape ni ne se retient entre les doigts, entre les mains. Qui aime lorsque, sur la terre et la route et l’herbe sèches, la pluie rebondit en laissant une senteur à nul autre instant semblable ; qui hume avant l’arrivée des gouttes, leur aromatique fraîcheur issir et glisser dans l’air déjà mouillé, et sait reconnaître ces particules odorifères qui giclent depuis le sol chaud qu’elles frappent invisiblement pour mieux éclabousser l’espace et jusqu’au vent lui-même ; qui reconnaît alors une puissance volcanique, lavique, contenue, retenue dans la terre ou le basalte de la geste homérique ; qui se souvient des roches de l’Etna tièdes encore bien après que le magma s’y faufila et la neige y fondit ; qui respire le sang divin des pierres pour signe silencieux d’une perturbation du ciel, fréquentant le chœur antique du monde depuis toujours pétrisseur de nuages, acquiesce au pétrichor.  

Un sens du devoir ni unique ni interdit.

17 Novembre 2022 , Rédigé par pascale

 

Je viens de lire goulûment et d’un trait Fin de promenade et Trois autres contes de Remy de Gourmont* ; ce n’est pas un livre gros, épais, touffu, joufflu, mais une petite chose que quelques minutes de tranquillité vous permettent de déguster aux conditions suivantes : avoir pour l’auteur un attachement sincère dont témoigne la présence d’autres titres du même en vos rayonnages, présence que vous devez à votre amour des phrases bien rédigées, de l’ironie mordante bien sentie, d’un plaisir certain à déserter les autoroutes éditoriales imposées par les commerciaux et agents de « diffusion » des livres, laquelle, comme son nom l’indique, sait se répandre sans se faire ressentir. Peu importe si le format, la lourdeur du papier et les caractères épais ne (vous) paraissent pas absolument indispensables – vous n’êtes pas dupe de l’obligation de faire tenir quelques pages en un volume vendable (sinon qu’à tout jamais vous avez un respect absolu pour les œuvres qui s’apparentent à une cathédrale ou, comme on dit aussi, à l’assaut de l’Everest à mains nues et témoignent d’une érudition flamboyante), peu importe puisqu’en ces quelques pages vous avez touché le pur plaisir de lire, qui commence toujours par l’enveloppement de votre cerveau en des mots inaccoutumés, perdus : « il sortait et s’encourait … » une variante de courir aujourd’hui disparue, les dictionnaires et autres lexiques ne retenant que le sens ordinaire de « subir une pénalité » – j’en profite pour rappeler qu’il faut fuir Larousse et petit Robert, pourtant vénérés par le corps enseignant et leurs enseignés, à grandes enjambées : ils n’existent que pour reprendre les modes et autres défaillances de l’usage des mots au lieu de leur résister, le plus grand nombre valant pour le plus juste à leurs yeux marchands. S’encourir – mais point besoin de dictionnaire pour le comprendre – signifie aller quelque part, aller vers rien, aller au hasard dans la phrase gourmontienne. Vous avez vérifié au passage qu’Ahashvérus est l’autre nom du juif errant et que ægipans – au milieu des lutins, ondines, sirènes et autres archanges – désigne bien des divinités du genre sorcières, plutôt que des individus sales et répugnants. Vous vous réjouissez de rencontrer eucologe en raison de votre préfixe grec préféré – eu – mais vous déchantez un peu puisqu’il s’agit en vérité d’euch (pardon à mon helléniste préférée, j’ai perdu les accents en route), la prière, et qu’un eucologe est un livre pieux, un livre d’Heures, qu’on peut judicieusement orthographier aussi euchologe. Un quatuor de mots suffit à votre bonheur.

         Il y a mieux. Je ne cacherai pas que, de ces quatre historiettes, la dernière – Le Devoir – devient la première dans l’ordre de mes préférences. Avec l’incipit, tout est joué. En quelques mots fort ordinaires — M. Rame fut tout surpris d’avoir une maîtresse — et en quelques pages, se déroule sous nos yeux le contrat de lecture annoncé. Aucun retournement de situation, aucune surprise ni rupture ne seront introduits par le sur-usé et si artificiel « soudain » qui autorise de nos jours toutes et n’importe quelles modifications paresseuses dans un récit. Non, Madame Virgule et Monsieur Rame — deux purs personnages d’encre et de papier, d’ailleurs le second taillait ses crayons avec un soin et une finesse extrême (…) et parvenait à donner à la mine une acuité telle qu’elle piquait comme une aiguille (autoportrait ? se demande-t-on au passage) — sont des parangons de fidélité au titre : précision, solidité, loyauté que le texte manie avec sobriété et dépouillement. Nonobstant la trouble lutte de Rame pour respecter son sens des devoirs de mari, de père et de fonctionnaire et contrer l’outrage à la morale, Trois mois plus tard, Mme Virgule était sa maîtresse. Certes, celle-ci ne fut pas de première prudence et n’usa pas de la retenue que l’écrivain mit à raconter comment il succomba lorsqu’elle soulagea les boutons de son corsage, et que ses lombes à lui commençait à s’échauffer.

         Un homme de devoir n’en est pas moins un homme. Et la (nouvelle) situation de Monsieur Rame – un mari qui aimait sa femme uniquement « et » avait une maîtresse – aurait dû, après ce moment d’égarement le rendre à son foyer. C’eût été la seule réponse acceptable à sa sottise. En revanche et à l’inverse, Remy de Gourmont qui le tient à sa main, n’écrit pas … « mais » il avait une maîtresse ! ce « mais » auquel tout le monde s’attend, qui signe une opposition insoluble, et autorise parfois que des devoirs contradictoires s’annulent comme devoirs. Ce messéant « et » lève toute inconséquence et réduit toute antinomie. Rame est, dorénavant, un homme aux deux devoirs : une femme qu’il adore avec laquelle vivre heureux, une maîtresse qu’il n’aime pas, à laquelle rester fidèle. Ce mot, une véritable trouvaille dans ce contexte, concentre et évite un fastidieux développement psycho-moral où le pauvre Rame aurait … ramé et l’écrivain usé trop de papier, à ne cesser de s’interroger sur le meilleur moyen de tromper deux femmes sans se tromper soi-même. Cet étrange sens du devoir multiple appliqué à un seul cas de conscience, lui vint aussitôt qu’il rencontra Mme Virgule, la femme d’un de ses amis. D’où l’on déduit que s’il n’avait probablement pas lu Kant – cet aparté strictement de moi – il n’en était pas loin ; Kant pour qui la morale s’arrime « nécessairement » au respect du devoir indépendamment de tout autre considération. Rame pour qui la seule réflexion – vite résolue – fut non pas de savoir si les hommes (mariés) doivent avoir des maîtresses, mais s’ils en ont, qu’elles doivent (souligné par R de G) être les femmes de leurs amis et non d’inconnus. Pour lui c’est une évidence qui permet de faciliter la réalisation de (son) impérieux devoir.

*Éditions Les Lapidaires – déc. 2021.

Confiteor ergo non salto

12 Novembre 2022 , Rédigé par pascale

 

 

« Ils confessent les filles sans qu’on y trouve à redire ». Ces mots tranchent net. Paul-Louis Courier a encore frappé.

On se souvient* que le Tourangeau rangé des affaires militaires, s’appliquait à rédiger des pamphlets entre Loire et Cher, une région bien douce mais, au début du 19 -ème siècle, lourde comme tout le pays de France d’interdits et autres décrets qui, au nom de la vertu, de la morale et de la religion condamnaient dans les villages, les dimanches et jours de fête, tant les danses que les violons. Il fallait ou s’abstenir ou désobéir. Dans le même formidable pamphlet (Pétition pour des villageois que l’on empêche de danser – 1822) et avec la même verve, Courier s’attaque, il n'y a pas d’autre mot, à ces jeunes séminaristes qui, non contents de faire la guerre à la danse, absolvent les jeunes filles de leurs péchés à la condition expresse qu’elles renoncent à danser, ce qui, de nos jours prendrait peut-être nom de chantage … Courier va/pense plus loin puisqu’il parle de l’ascendant que doive avoir, et sur leur sexe et sur leur âge, un confesseur de vingt-cinq ans … On admire la lucidité avec laquelle il a compris que trois facteurs au moins contribuent à cet « ascendant » : les aveux, le secret et l’intimité. Quiconque l’ayant pratiqué avec plus ou moins d’assiduité ou simplement visité par curiosité pour l’ameublement religieux des chapelles de campagne le sait, - tout le monde sait que l’étroitesse, l’obscurité, l’inconfort, le chuchotement, l’auto-accusation, au confessionnal, fabriquent, avec bien des terreurs névrotiques à venir, culpabilité et honte mêlées ; aussi, qu’un confesseur de vingt-cinq ans reçoive par l’autorité silencieuse de qui détient vérité et pouvoir, les confidences auriculaires des jeunes filles, Courier y voit une indécence bien plus grande que la supposée impudeur des danses villageoises. Ces tête à tête avec ces jeunes gens vêtus de noir, lui sont, non seulement suspectes mais hypocrites, vipérines, pour ne pas dire … sainte-nitouche. Et voici comment, par le truchement d’un petit racoin tout sombre l’on passe de danseuse à pénitente, de la joie d’un lieu public aux affres de la cagoterie dissimulée.

Bien que cela soit explicitement formulé et à de nombreuses reprises – impossible donc d’oublier le Républicain en lui, l’ennemi de l’ancien régime, le contempteur de la préfectorale, de la bourgeoisie, de la courtisanerie, des privilèges, le détracteur de toute forme d’atteinte à la liberté – on s’étonne que Courier reprenne sur ce point précis, le sempiternel argument pour mesure de toute chose : être devenu petit propriétaire. Quel rapport me direz-vous avec la confession des jeunes filles sous l’ascendant que l’on devine indécent de jeunes séminaristes ne distribuant le pardon divin dont ils seraient dépositaires, qu’à celles qui renonceraient à danser ? Une question d’équilibre au sens économique du terme, l’économie étant la répartition la meilleure possible des intérêts du petit jeu d’à qui perd gagne. On danse sur le parvis de l’église, pour trouver un mari, lequel prétendant a mérité ces repos et plaisirs après les lourds labeurs accomplis auxquels il s’est d’autant plus ou mieux soumis qu’il est propriétaire récent, id est, après des siècles d’esclavage où il travaillait pour d’autres, toujours riches, nantis et oisifs. Deux conséquences à cette chose nouvelle – le peuple ivre, encore épris, possédé de sa propriété – en font une rapide et petite sociologie avant l’heure : celui qui travaille tant n’a plus de temps disponible pour la religion, il est bien moins dévot ; et le loisir qu’il prend, ou prenait avant les maudits décrets, de temps à autre – les dimanches et jours de fête pour danser – lui est profitable, point de vue économique encore – ces jeunes gens (…) doivent se voir, se connaître avant de s’épouser ; ce qu’il vaut mieux faire publiquement sous les yeux de leurs amis et proches et non au bosquet ou aux champs, quelque part loin des regards. Les vieux curés tenaient ce raisonnement – le mal rarement se fait en public – dont les jeunes abbés sont incapables, on se demande bien pourquoi. En présentant une religion triste, sombre, sévère ils contribuent à sa disparition ; le peuple, dit Courier, est maintenant – un adverbe ou ses équivalents d’une importance absolue – comptable de son temps, puisqu’il l’est de ce qu’il sème, laboure, récolte pour la subsistance de toute sa famille et chevance (ce qu’on tient de ses pères, son bien). Autant dire que le propriétaire nouveau est un homme plein de vertu et de courage mais n’est plus un dévotterme lui aussi très fréquent chez Courier, qui, on le sait, avait lu Saint-Evremond qui en faisait grand usage ; au moins et à condition qu’on lui rende le droit de danser, le fait-il sur la place de l’église, danser là, c’est danser devant Dieu. Le lui interdire ne le fera pas entrer, au contraire.

Saluons à nouveau l’agilité de plume de Courier qui réussit en quelques paragraphes : à condamner les curaillons et abbétons de confesse qui distribuent des bénéfices vertueux et impalpables pour prix de l’abandon de plaisirs bien honnêtes ; à montrer que ce calcul est si pitoyable qu’il est perdant pour la religion ; à convaincre qu’un champ et une maison dont le peuple est dorénavant ou maintenant propriétaire – héritage de la Révolution – lui prenant tout son temps, ses pensées et ses efforts, il n’est plus disponible pour Dieu, ou plutôt pour une religion qui lui refuse la distraction sans risque et bien méritée par le travail fourni, pire, met la danse au rang des péchés mortels.

Courier, défenseur d’une vertu laïque, terrienne, propriétaire, contre le zèle confesseur de certains demi-prêtres.

 

*in Archives – 11 et 17 Octobre 2022 – L’épistolier – Le pamphlétaire (suite)

Broquilles de presse inactuelles

9 Novembre 2022 , Rédigé par pascale

 

 

La dame Blot, 28 ans, faisait son marché en sa petite ville de Mesnil-Durand. Elle tenait son vieux parapluie gorge-pigeon, acheté 2 fr. 45 à un marchand ambulant, qu’elle laissa, à l’auberge où elle passa, ayant pris un autre gorge-pigeon-glacée par erreur. Sa propriétaire, la dame Valentin, l’avait payé 11 fr. L’erreur est humaine. Elle n’en dura pas moins 18 mois, le temps, pour le tribunal de Lisieux d’établir qu’en réalité, c'était constitutif d’un fait de vol en termes juridiques, et passible d’une peine. La dame Blot fut condamnée à deux jours de prison. Ce fut relaté dans le journal local, en Octobre 1873, qui ne relata pas pour autant les détails – qui eussent pu être passionnants – de cette terrible enquête. Le titre, passablement neutre : Un parapluie hors de prix.

Cette authentique brève – datée de Juillet 1896 – toujours à Mesnil-Durand, en Basse-Normandie. Le sieur François Gautier, 45 ans, s’est noyé en pêchant dans la Vie. Le rédacteur de l’information est d’une remarquable concision. Entièrement responsable des termes qu’il choisit pour présenter les faits divers du coin, il aurait dû – évidemment – ne pas faire la Vie  la cause directe de cette mort : soit il n’a rien vu, en quoi il est fort médiocre et fort indélicat ; soit il le fit délibérément, présageant avec un brin d’optimisme que les lecteurs des nécrologies sont en mesure de saisir cet humour … noir. Cela reste fort indélicat, bis repetita. Rappelons que la Vie est une rivière qui sillonne la campagne normande, passant par Vimoutiers et même Livarot. (ne pas confondre avec la Vie, en Pays de Loire).

Dans la toujours même presse très locale, les années passent et le style, à mi-chemin entre le presque sérieux d’un ton artificiellement neutre et la désinvolture des affaires dérisoires du (petit) monde de Mesnil-Durand, selon, probablement, qui tient la plume. En Septembre 1899, l’article intitulé « Effet de chagrin » commence ainsi : Quand Martin Morisse, 51 ans, est à jeun, il voit tout en rose, quand il est gris, il voit tout en jaune. On se dit que l’échotier d’avant n’est plus. Celui-ci, nous gate avec un semblant d’écriture et une lueur d’audace – comme tous les ivrognes, il voit double – qui s’achèvent pourtant dans un compte-rendu raplapla des quelques échanges au tribunal qui nous apprennent – dans le patois normand – que le pauvre Martin venant de perdre une vache (eune vaque) il avait tant de chagrin, qu’il but encore et encore et frappa sa femme « plus fort que d’habitude ». Le tribunal de Lisieux ne voulant pas encore augmenter son chagrin le condamna à 15 jours de prison.

Ces « Morts subites » maintenant, remarquables par les patronymes et le mystère. Il n’en faut peut-être pas plus pour atterrir dans la rubrique « faits divers » : Monsieur Fromage, tout d’abord – rappelons que la commune du Mesnil-Durand est en plein pays d’Auge avec le pavé du même nom (succulent et moins connu que les célèbres autres normands), Livarot à quelques tours de roue de charrette – meurt d’un coup après avoir procédé à une adjudication pour le compte de la commune. Y a-t-il un lien de cause à effet, ou un questionnement subliminal ? La veuve Champagne ensuite – les amateurs ne peuvent pas ne pas penser à la Clicquot – mourut aussi d’un coup, sans autre explication, de la part du gazetier s’entend. La demoiselle Roinsart, servante chez un fermier de Livarot, expira d’un coup elle aussi, tandis qu’elle « taillait le pain pour la soupe ».

Nous retrouvons La Vie – la rivière n’est-ce pas – dans laquelle un certain « Henri Jonchard, domestique à Mesnil-Durand, aperçut nageant à fleur de l’eau, une jolie truite qu’il tua d’un coup de fusil. A l’audience il brille par son absence et attrape 30 francs d’amende par défaut. » Il fallait recopier cette annonce mot pour mot, tant elle est succulente – on peut le dire. D’abord s’appeler Jonchard et voir, certes par les mots du journaleux, mais c’est bien cela l’intérêt, un poisson nager à fleur de l’eau, autrement dit joncher la surface, pour ensuite briller (de n’être pas) tel le dos d’une truite pour attraper un (poisson)-amende ! cela me ravit. (la faute pénale est le coup de fusil).

Je jure que je n’ai rien inventé, rien du tout, dans ce que je rapporte. J’ai simplement trié dans d’authentiques nouvelles et échos des jours, celles qui m’ont alléchée – comme l’odeur du fromage de la fable ? – tant, en quelques mots, en un nom parfois, elles semblaient fictives. Félix Fénéon qui s’amusait, lui, à les bâtir de toutes pièces en trois lignes et les glisser, ni vu ni connu, dans le Journal, est largement battu vs la réalité qui, comme chacun le sait, dépasse l’invention. Ainsi et toujours à Mesnil-Durand, on trouva un cadavre dans un ruisseau – la Vie ne semble pas responsable cette fois. Il s’agissait d'un dénommé « Péchet ». Rien à ajouter, c’est à cela que l’on voit comme le banal et le minuscule peuvent être sublimes parfois.

Aux petits travaux sans peine des petits chroniqueurs de nécrologie d’un petit journal d’une petite ville normande à la fin du 19ème siècle, et même au début du 20ème , ajoutons ces deux derniers évènements ainsi rapportés  :  à la suite de mauvais traitements, mauvais soins, et coups réguliers assenés sur la jeune Berthe, 9 ans, les parents furent condamnés à 3 mois de prison pour l’un et un mois couvert par le sursis pour l’autre. Cela faisait deux ans, apprend-on, que les voisins entendaient les cris de la « pauvre petite (qui) manquait de nourriture et de vêtements » et parfois couchait dehors. C’est sûr qu’avec des voisins comme ça, les indignes parents pouvaient taper sans crainte. Soudain, je me demande s’il est pertinent d’indiquer une époque ?

Jugement météorologique inaccoutumé : l’auteur des lignes, peut-être en manque de précisions chiffrées mais pas d’inspiration, après avoir fait remarquer qu’en ces jours (février) baromètre et thermomètre montent et redescendent en sens inverse, nous avise de son point de vue. C’est tout de même le dégel, espérons-le. Mais un dégel sans pluie n’est jamais bien sincère. J’avoue, j’avoue que cet usage de sincère est un petit bonheur inattendu, suivi, quelques lignes plus loin, d’un proverbe qui n’a pas dû franchir les limites de Mesnil-Durand, de Livarot et du Pays d’Auge – on ne le connaît point dans l’Orne, mais je veux bien être démentie : « Jamais février n’a passé sans voir groseillier feuillé ».

Un Abyssin nommé Rimbaud.

3 Novembre 2022 , Rédigé par pascale

 

 

 

A l’occasion, et pour la saluer, d’une nouvelle – énième – réédition de

Rimbaud en Abyssinie d’Alain Borer (1ère édition, nov. 1984, Seuil) :

ma libre relecture.

Hommage.

 

 

Vous arrivez en Afrique à vingt-sept ans – au xix e siècle ; et vous êtes seul pendant dix longues années, absolument seul ; n’ayant rien, absolument rien ;

 

Un siècle plus tard, au même âge, et ce n’est évidemment pas un hasard, Alain Borer y revient. Il revient où, pourtant, il n’était jamais allé, ni lui, ni avant lui aucun de ceux que l’on nomme rimbaldiens, qui ont lu, relu et encore et toujours sans cesser, le fulgurant poète mais sans sortir de ses livres, sans quitter leurs maisons : on s’y perdrait à parcourir le monde des écrivains ! Alors fallait-il se mettre dans ses pas, ses routes, ses traces ? Pourquoi oui et pourquoi lui ? Rimbaud en Abyssinie répond longuement à cette double et même question : oublieux des fiction, pèlerinage, divinisation ou légende, pour ne pas dire mythe, et très sévère à l’égard des vérités altérées, ce livre n’est pas une quête mais repose sur une requête si l’on veut bien maintenir ce mot en son sens le plus strict : demander justice auprès de qui en a le pouvoir. Il fallait réviser le procès inique : Rimbaud contre Rimbaud.

Pour la doxa scolaire il n’y a qu’un Rimbaud et pour la critique universitaire, Rimbaud eut deux vies : la première, à l’âge où l’on vient tout juste de laisser tomber Maurice Carême pour les romantiques, raccourcit son existence d’une bonne moitié nous disant qu’il fut génial puis maudit, sans préciser ni comment ni pourquoi ; la seconde ne fait guère mieux, elle la coupe en deux, élevant un mur épais, une cloison étanche, un fossé infranchissable pour mieux reléguer au rang de mystère cet incompréhensible abandon de toute poésie, voire de toute écriture ! Ce qui n’est ni plus ni moins que l’invention par avance d’une réponse qu’on n’a plus la peine de chercher ni d’élaborer. S’il y a mystère – par position dogmatique irrécusable – il n’y a plus de raisons ni de causes, ne reste qu’à forclore l’affaire et annoncer que Rimbaud l’Africain n’a rien à voir avec le poète – sinon une sorte de dédoublement de personnalité, une scission irréversible, une schizocéphalie tératologique. Ainsi, la plupart des biographes ont voulu qu’il y eût deux Rimbaud, ou deux vies de Rimbaud, ou deux récits rimbaldiens, séparés par une cassure dans sa vie : il devenait évident que le premier Rimbaud était libre mais pas le second, qui passe alors pour un parangon de perdant, dans le sillage devenu obscur du Voyant disparu corps et âme.

La faute majeure est de n’avoir pas lu le poète à l’aune de l’« Africain » mais l’inverse, si l’on peut dire, car il était entendu … qu’il n’y avait rien à lire ! La faute majeure est de n’avoir pas voulu, ni essayé, ni désiré saisir, entre l’œuvre et la vie un continuum qui était tout sauf hasardeux ou de circonstance ou de posture. La faute majeure est d’avoir opposé les textes d’une part et l’absence – le silence – des textes de l’autre. Fautes majeures de lecture : n’avoir pas vu, pas voulu voir, que la puissance des premiers était telle qu’elle constitua – reconstitua, au sens du symbolon grec, qu’Alain Borer convoque plusieurs fois – l’unité d’une existence devenue insécable. Pour comprendre Rimbaud, il faut aimer Rimbaud, dit-il. Ce qui n’est ni nécessaire ni suffisant et peut même faire obstacle à un travail épistémologique solide dans tout autre cas. Toutes les lettres d’Aden – entendez-vous Éden ? – du Harar – voyez-vous deux fois en aller-retour les initiales du poète ? – lettres de sable, d’or, de désert et d’ennuis étaient mieux qu’écrites, elles étaient inscrites, dans ses textes ; tout était déjà-là et, inversement, tout fut contenu – au sens de la contention – et distillé – au sens chimique et alchimique – dans les « lettres d’Afrique » Les cotons anglais ; la soie, les caravanes, la route rouge, les hyènes, les plaines poivrées, l’encens, le cuivre, le sable rose, le désert de bitume, les vendeurs, les voyageurs, les déserts tartares, l’étambot, les pays poivrés, la marche, le fardeau, le désert, l’ennui et la colère ; la vie dure, l’abrutissement simple ; une mosquée à la place d’une usine, ils sont tous prélevés dans l’œuvre poétique – la période créatrice – beaucoup paraissent à de nombreuses reprises, avec tant d’autres, à cet inventaire inachevé. A l’inverse, sa Correspondance « africaine » parle de neige, d’ennui, de froid, de pluie, de boue, d’hiver. « On s’étonne que Rimbaud ait effectué à la lettre ce que son texte énonce de toutes parts : le départ en mer, le désert, la marche, le fardeau … Ce qui inquiète, c’est qu’il fasse ainsi corps avec son texte. » dit Anne Berger dans un article de la revue Romantisme en 1986. Pourquoi inquiète ? sinon pour noter le trouble ou l’émoi d’avoir saisi, compris, une telle proximité féconde et illuminée, grâce, dit-elle, à « l’exégèse minutieuse des terribles et passionnantes lettres d’Afrique. ». Certes, mais c’est oublier la démarche, ou plutôt – pour tâcher d’être borérien – le sens de la marche, qui se fait désertion pour mieux rejoindre le désert, ou le silence dont le désert est la métaphore. On s’étonne, suivant l’auteur pas à pas dans les lettres qui avancent chiffres après chiffres – l’argent, les distances, les températures, le nombre de fusils, de chameaux, le poids du café, l’argent encore – et constate les relisant grâce à lui, à quel point le poète est, hic et nunc – là, le latinissime Rimbaud ne nous en voudra pas – non-voyant de toute faune et flore. Disons-le autrement : à lire ses lettres, dit Alain Borer, on est déconcerté par ce silence-là, ce non-dit-là : un aigle au ciel très haut, des vautours, des serpents, des oiseaux de toutes sortes, des tortues vertes, des sangliers noirs, des singes, outardes, criquets, sauterelles, ils sont tous absentés. Ni les roses, jasmins, lys, œillets ne parfument ses lettres. Une fois, en 1881 : « Les caféiers mûrissent ». Un pays en trois mots … commente A. Borer. Rimbaud, un homme pressé qui s’ennuie, peut être retenu plusieurs mois, jours et jusqu’à une année dans et par les imbroglios politico-juridiques et militaires qui affectent lourdement la circulation des biens et des négociants, se dissout pourtant dans une écriture épistolaire elliptique, y compris quand il s’agit de sa propre personne, sa santé, les dangers auxquels il échappe. Encore du non-dit dont, finalement, on sait l’essentiel ou le tout. Quelques mots suffisent, ils reviennent sous toutes les formes : fatigues, épuisements… physique et psychologique. Colères aussi. Nous savons tout des expéditions, de leurs difficultés, de la constitution d’une caravane de chameaux, des négociations de prix, des contrats de travail. Mais la conclusion est sans appel : Il a parcouru l’Abyssinie en silence.

Inconcevable silence qui le rendrait suspect ou soupçonnable de n’avoir ni vu, ni entendu, ni dit ce que d’autres pensent qu’à cette/sa place, ils auraient dit ! D’où le mépris dans lequel ce Rimbaud-là, au nom de l’Autre Rimbaud, du Premier, le mépris dans lequel les glossateurs casaniers (…) tiennent encore l’Abyssin. Méprise totale, projection coupable du « sujet » (le commentateur, le critique) sur « l’objet » (Rimbaud l’Abyssin), le lecteur mal lisant, recouvrant ce qu’il lit de ce qu’il voudrait lire au nom de ce qu’il a déjà lu. Une question de l’auteur – avec réponse – le dit plus élégamment et autrement : Est-ce parce qu’il écrit à sa mère qu’il ne dit rien de l’Éthiopie ? Non – c’est parce qu’il n’a rien à dire qu’il n’écrit qu’à sa mère. [Et comment ne pas voir, dès qu’on écrit son prénom, que Vitalie, l’excessive mère, celle qui donne la vie, qui fait œuvre vitale, exacerbera son rôle ?] Il n’a plus rien à dire. Ses pré-voyances en sur-présences incandescentes dans la vraie vie des Illuminations ont réalisé par un brouillage chronologique unique, un ailleurs où le silence l’emporte. Coïncidence à jamais inimitable de l’œuvre et de la vie dit encore Alain Borer, dans l’Introduction à l’indispensable édition du Centenaire — Arthur Rimbaud, Œuvre-Vie, Arléa 1991— qu’il a dirigée, et qu’il faut lire du même pas.

Venu en Abyssinie pour dé-brouiller ses pistes et suivre ses traces, entendre ce qu’il ne dit pas et voire ce qu’il ne voit pas, A. Borer comprend au mieux la « liberté libre » que Rimbaud clame et réclame pour seul critère ou mesure de sa vie. Dès la lettre à Demeny du 17 avril 1871, il affirmait pourtant, « Je suis condamné dès toujours, pour jamais ». Comment concilier ce qui paraît inconciliable, par quel renversement sémantique, logique, esthétique, métaphysique, ces contraires se peuvent-ils accorder, cette assertion liminaire admise dorénavant et une fois pour toutes : l’Abyssin n’a pas trahi Rimbaud, partant, il n’a pas trompé ses « adorateurs », ce que leur déception, frustration, ou mépris laisseraient entendre. A. Borer montre avec la belle obstination de celui qui connaît son sujet sur le bout des textes – ici, en particulier cette « Correspondance africaine » – que la question rimbaldienne pure, liée à l’entreprise poétique, n’est pas celle, illusoire, d’une cassure dans sa vie, mais de la permanence du renoncement, de la répétition de l’abandon, de la passion de l’échec. Magistrale formulation, ô combien aboutie dans sa négativité, laquelle, par mouvement dialectique, fait la liberté se dépasser elle-même et accomplir toute sa signification : la « liberté libre », expression difficile au profane qui se demande s’il se peut qu’une liberté soit contrainte. Alain Borer saisit – est saisi par ? –  la dimension absolue de cette liberté — une question pure — comme on le dit d’une solution al-« chimiquement pure ». Inaltérée, inaltérable, par essence, par quintessence. Quelle liberté celle de l’ennui profond, répété à longueur de lettres ? quelle liberté pour une vie atroce – mot dont l’auteur signale à juste titre qu’il est l’un des plus usités, tous textes confondus, chez Rimbaud, (en effet, maintenant que vous le savez, vous le rencontrez toujours) ? quelle liberté dans la misère, la soif, la souffrance obligées ? quelle liberté pour qui se sent toujours en état de légitime offense (quelle trouvaille !) ? Aucune, si l’on se réfère aux catégories binaires du sens commun pour lequel la liberté serait de ne choisir ni subir aucune contrainte, ou ne pas poursuivre les situations favorisant les obligations. Mais, je m’autorise un pas de côté, souhaitant rendre accessible par une autre voie, l’expression « liberté libre ». Rimbaud lui-même le suggère puisqu’à plusieurs reprises, il se dit « condamné » … à errer, à vivre, à suivre les pistes, etc. Condamné, c’est le terme par lequel Sartre dira bien plus tard – et sans le moindre rapport avec notre propos mais pouvant l’éclairer, c’est la vertu de l’abstraction philosophique – que nous ne pouvons échapper à notre liberté, que nous sommes libres à la mesure de notre existence tout entière et non par exception ou par moment – un mot, existence, dont l’écho est puissant chez lui, on ne peut reprendre tout son raisonnement ici. Nous sommes condamnés à être libres dit-il : affirmation qui brise, une fois pour toutes, la conviction du sens commun qui conditionne ou indexe la liberté à tel ou tel degré de contrainte ou d’obligation, et plus encore au succès de l’action. Ce que Sartre dément vigoureusement. La liberté est toujours absolue ou plutôt entière, entièrement libre donc, et l’échec en fait intégralement partie, il ne l’annule ni ne l’anéantit mais la confirme et conforte. La refuser – se comporter ou se dire non-libre ou moins libre — est encore une manifestation de liberté. Seul un être libre peut décider de, ou vouloir se contraindre ou s’obliger. Et choisir de ne pas choisir, vouloir ne pas vouloir, est signe patent de liberté.

Si pour beaucoup, Rimbaud a joué de malchance — par une faculté quelque peu maudite de retrouver toujours les mêmes situations impossibles, comme si ses échecs l’attendaient inexorablement, autre façon de nommer la fatalité, le non-choix — la récusation est à portée de raisonnement, à condition de ne pas tomber dans le simplisme opposé que serait un stoïcisme béat. Dans L’homme révoltéLa Poésie révoltée – Camus emploie les mots de « consentement » et de « contradiction » dans le même passage, non en les opposant, mais pour faire comprendre ce mystère dans la banalité que nous disent « les lettres du Harar » (dont nous comprenons qu’il vient de les lire). La « liberté libre » de Rimbaud serait-elle de n’avoir pas fui cette commune mesure qui coïncide involontairement avec la grandeur. Quelque chose comme un mysticisme sans Dieu, Sisyphe qui remet toujours la pierre au sommet, l’ayant fait rouler jusqu’à l’abîme, Sisyphe qui redescend d’un pas lourd mais égal vers le tourment dont il ne connaîtra pas la fin, mais son destin lui appartient ; il a compris qu’il est maître de son destin parce qu’il n’y a, ni pour lui ni pour personne, de destinée supérieure ; à cet instant subtil, il sait.

 

Anne Berger, dans l’article cité plus haut, concluait : « C'est un livre libre, quoique scrupuleux, qui ne s'embarrasse ni de procédures, ni de la pesante bureaucratie critique. C'est donc un livre qui court des risques. (…) C'est le livre d'un érudit, d'un initié à l'expérience et au rêve de l'écriture. » J’ajoute : dont l’énorme et précieuse rimbaldothèque fait oxymore à la minceur de l’œuvre à laquelle elle est consacrée. Mais il voyagea léger en livres celui dont Le rêve de rejoindre l’homme-qui-fuit ne se soutient que d’un questionnement tenace de sa poésie.

 

Deux pépites dans les notes, lesquelles, comme toujours dans les livres d’Alain Borer constituent un recueil de savoirs à elles seules, les ignorer est une faute majeure.

         - La note 1, du chapitre 1, (p 341) - intégralement : « Il faut au livre des voiles, et une cale. Ici (i.e avec cette note 1) commence la cale, un deuxième voyage, souterrain, labyrinthique, discontinu, mais pas moins infini que la promesse des voiles, avec ses renvois à d’autres directions. Éléments hétérogènes, bouts de ficelle et cailloux du chemin s’agglomèrent au livre comme à sa coque : notules flottantes qui rêvent, dit Mallarmé dans Divagations. « l’hymne (…) des relations entre tout. » Les notes forment un défi au lecteur, ce passager clandestin. Comment surmonter l’interruption fréquente, les troubles de la sollicitation, tous ces appels ? Un voyage peut se décrire comme une succession d’interruptions. Voyager, c’est s’interrompre mille fois : arriver une seule. Il est probable que notre manière de lire ne diffère en rien de celle de voyager. Une solution est de lire deux fois, l’une en mettant les voiles, l’autre à fond de cale. »

- Apparition (sans développement) du nom de Pétrus Borel – p 357 – note 22. Mon commentaire : Mort en 1859, en Algérie où il arrive en 1845 – il n’a pas pu lire Rimbaud, mais qu’en est-il de l’inverse ? Je laisse à la sagacité du passant-lecteur ces quelques vers de l’Aventurier (in Rhapsodies) : « Ce désert étouffant est donc infranchissable ? » (…) « Harassé, (Rimbaud se dit harassé, au Harar, mot qui contient deux fois ses initiales, il parle aussi d’Aller-Retour - A-R - exténuants) je m’assieds, mourant solitaire » (…) « Au réveil trop cruel d’un trop court songe d’or » (…) « Je voulais l’opulence, et j’embrasse la mort ».

Et pour finir :

         Plus de cent trente noms d’écrivains, penseurs, poètes, philosophes, essayistes … apparaissent, souvent à plusieurs reprises. Dans cette liste ès qualités, je n’ai pas compté Dieu – 23 fois ; ni Jésus et Bouddha – 3 fois seulement chacun ; les Beatles et Caïn – une fois ; même tarif pour Folcoche ; ni les nombreux biographes qui ne seraient pas « classés » parmi les premiers ; ni les peintres – une bonne douzaine ; si l’on ajoute les noms de ceux que Rimbaud a rencontrés « pour de vrai » – employeurs, politiques, gouvernants de tous poils, amis, savants et autres –, les personnages des œuvres et mythologies classiques, modernes et contemporaines – il y a dans ces trente-deux dizaines de pages – compte non tenu des notes en tout petits caractères, dont certaines font plusieurs pages et l’ensemble 60, et compte non tenu également, des innombrables toponymes, d’une précision inouïe, on a une idée de l’autre épaisseur de ce livre, celle qui ne pèse pas dans la main mais accompagne un lecteur dorénavant voyageur et caravanier devenu, et chamelier et négociant lui aussi, tant A. Borer maîtrise l’art de la perspective, celle des trois dimensions tant cérébrales que sentimentales, du sujet, de l’auteur et du lecteur, qui s’incarnent là, au plus haut niveau.

         Deux dernières libres remarques :

- dans les premières pages, je lis : « Ce que je vois, Rimbaud l’a vu ». Ce fut, la première fois et pour toujours, ce que je dis, puis écrivis, quand je vins et quand je vis, comme Empédocle, 2 500 ans plus tôt, le sol et les ciels d’Agrigento, Sicile, et ses temples grecs. Et chaque fois.

- j’ai cinquante kilomètres pour répondre, soliloqua l’auteur à une sollicitation sans urgence ; à quoi fera écho, trois cents pages plus loin : Tu as parlé dix kilomètres, (de bobines de film, qui a lu ou lira, comprend). Alors, on se prend à rêver à l’invention géniale d’un poète qui mesurerait la longueur de ses mots déroulés en équivalent de tours de roue de bicyclette … Aujourd’hui les paroles se mesurent en longueur. Dix kilomètres de mots. Quelques mots en dix mille kilomètres. Peut-être faudrait-il autant de mots que Rimbaud a parcouru de lieues ( et de lieux ?) pour le rejoindre et pour se taire.​​​​​​​

Mélanges, miscellanées, miettes - 20 -

28 Octobre 2022 , Rédigé par pascale

 

 

La barre des 500 – cinq cents – articles publiés est franchie depuis peu ! En nombre de pages tapuscrites au format A4, cela fait plus ou moins 2000 – deux mille - pages.

 

Commençons par un clin d’œil personnel :

De Eubule (fr. 138 Kock) : « Car m’ayant fait goûter un vin psithien, bien doux et tout pur (…) sans s’asseoir, (…) il attaque des huîtres.

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    Quelle formulation parfaite que celle-ci, entendue à la suite d’une interprétation pianistiquement réussie au-delà d’une articulation et lecture techniques réussies :

… et la musique vient depuis les notes ….

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Un Pater mais une patère.

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         Je rentre du Marché et rapporte des fraises (pour les sourcilleux de la saison, c’était il y a un petit moment) dans mon panier, avec en supplément : « on est sur un produit magnifique », « sentez leur odeur (parfum, arôme y’a vraiment pas moyen ?) – « vous auriez les 1 € ? », ma réponse, négative, alors … « y’a pas de souci » ! En moins d’une minute, j’ai défailli quatre fois, mais m’en suis assez bien remise en répondant au chaland qui proposait de mettre mes achats dans une poche (qui se dit sac ou sachet partout ailleurs en France, et pouche en Normandie) cette sortie impréméditée : « Non merci, plus j’ai de poches moins j’ai de mains ! » dont je souris encore ...

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Valéry : Mes vers ont le sens qu’on leur prête. Celui que je leur donne ne s’ajuste qu’à moi et n’est opposable à personne. (Cahiers)

                  Je suis comme une vache au piquet et les mêmes questions depuis 43 ans broutent le pré de mon cerveau. (idem ibidemque)

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         « Des quidams ordinaires » … : outre ne pas avoir la certitude que le « s » soit bienvenu ici, accroché à ce mot latin dont le masculin et le féminin nominatifs pluriels sont identiques – quidam -, la qualification par l’adjectif ordinaire ne sert à rien, puisque « quidam » contient cette connotation. Ergo, nous sommes, une fois encore, une fois de trop, en présence d’un pléonasme, sans ajouter inutile … c’est inutile !

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« Mais ce n’est pas pour rien que la chaussette a la forme d’un boomerang. Tu peux te lancer dans un grand voyage à travers le monde, tu finiras par rentrer chez toi. » Éric Chevillard, chaque matin avec gourmandise : humour, cynisme, tendresse, absurde, gros sel et même sel fin, insolence, découragement joyeux et joie exigeante, pessimisme effronté, même triste ne vous noie pas dans son chagrin, ni même la politesse du désespoir ou l’élégance du condamné.

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Les Nugæ — qui veulent dire « choses frivoles » — si vous soufflez délicatement dessus, deviennent des Nuage(s) …

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L’expression volets intérieurs est (aussi) un pléonasme, puisque à l’extérieur ce sont des contrevents.

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On aime – contre toute attente – musarder dans les Salons de Diderot. Dans Salon de 1767, d’un tableau de Fragonard – Tableau ovale, représentant des groupes d’enfants dans le ciel : « C’est une belle et grande omelette d’enfants » ; (…) « Cela est plat, jaunâtre, d’une teinte égale et monotone et peint cotonneux. Ce mot n’a peut-être pas encore été dit, mais il rend bien et si bien qu’on prendrait cette composition, pour un lambeau d’une belle toison de brebis, bien propre, bien jaunâtre, dont les poils entremêlés ont formé par hasard des guirlandes d’enfants. Les nuages répandus entre eux sont pareillement jaunâtres, et achèvent de rendre la comparaison exacte. Mr Fragonard, cela est diablement fade. Belle omelette, bien douillette, bien jaune et point brûlée ». (dans une note, on peut lire cette correction : bien brûlée).

Ce jour-là, Diderot voyait tout en jaunâtre, trois fois dans les 4 phrases précédentes, l’adjectif revient dès la première de l’article suivant : toujours Fragonard – Une Tête de vieillard.

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Autant ce mot est doux – murmurateur – autant son sens ne l’est pas tout à fait. Car murmurer est agréable, mais murmurer contre quelqu’un ou quelque chose ne l’est pas et c’est bien ce second sens qu’il faut « entendre » dans murmurateur. Thomas d’Aquin, Père de l’Église non taquin et très sérieux, s’en prend à eux dans son Traité De æternitate mundi, (circa 1270).

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Max Jacob : le romancier écrit une robe verte ; et le poète, une robe d’herbe.

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         De son éditeur (français) à Curzio Malaparte qui s’apprête à lui transmettre le manuscrit de La Peaudont on ignore tous qu’il fut préalablement intitulé La Peste – après le succès de Kaputt :

« Nous faisons un trop grand cas de votre talent pour ne pas accueillir avec plaisir n’importe lequel de vos manuscrits » (1947). [rapporté par Maurizio Serra dans sa formidablement documentée et énorme biographie ;  lire aussi du même son d’Annunzio et son Svevo.]. Quel éditeur, de nos jours, aurait assez d’esprit de finesse pour écrire (et à qui ?) tant son admiration que sa reconnaissance ?

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« Il est difficile d’apporter de l’aide aux vieux amis qui perdent le nord et se sont fait une carapace infranchissable dans leurs lignes de défense.

On ne sait rien du lourd losange des mots mal arrimés dans leur tête. »

Patrick Laupin (in La mort provisoire.)

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         On me rapporta, il y a peu, cette appréciation relevée dans un livret scolaire : « A usé jusqu’au bout son droit à ne rien faire. »

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         Ma croisade sans fin : présentant un programme de deux séries, ou périodes de conférences et les appelant cycles, le Musée de la ville, termine ainsi son annonce au public : « Il reste quelques places sur les deux cycles » ! Je me suis demandée s’il s’agissait d’une erreur, la phrase pouvant avoir glissé de la rubrique sport à la rubrique culture, et inquiétée que quelques places fussent disponibles pour seulement deux bicyclettes, pour finalement envisager qu’il pourrait s’agir de tandems … mais plus sûrement de la dorénavant irrespirable densité de la préposition sur dans la langue française, laquelle devient intolérable à des oreilles de plus en plus délicates.

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Que ceux qui continuent à dire et écrire mail plutôt que courriel ne lisent pas ce qui suit. Nos amis et cousins québécois, à l’origine dudit courriel (contraction de courrier électronique, ce n’est pas si compliqué zut !) ont inventé aussi le Clavardage, pour les bavardages et autres parleries de clavier sur le Net ; bien vu, bien entendu, bien dit, bravo, merci et re-zut à tous les soumis et autres incurables grégaires. Et dire que les îlots de résistance sont implantés en plein camp adverse !

Dans la biographie de Rimbaud par Pierre Petitfils (Hachette 1962 – p. 58) : Volontiers, ils se rendaient au « Bois d’Amour », un charmant mail aux tilleurs séculaires. (Ils : Rimbaud et Ernest Delahaye)

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Les mots sont décidément sans pitié : « à la suite du dépôt d’une main courante, Untel reconnaît avoir giflé son épouse. » A défaut de courir, cette main s’était bien envolée.

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Qu’est-ce qu’un « silence horrible » me demandé-je, lisant cette expression selon moi oxymorique. Alors je m’interrogeais sur le poids de l’horreur, laquelle, instantanément, je rapportais à la terreur et à la cruauté : un « silence horrible » participerait de cette double calamité ; il serait particulièrement parlant, bruyant, insupportable surtout et avant tout à qui n’entend plus que le vacarme en lui de ses propres cauchemars.

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Grège : bel exemple de métonymie passée dans le langage courant, même si — il faut le reconnaître — ce mot est de moins en moins utilisé, il aurait pu faire une entrée de ma série « à la recherche de mots perdus ». Grège désigne dorénavant une couleur à part entière – entre beige, écru et gris, grège quoi !  — alors que l’adjectif était réservé à la soie brute ou aux fils confectionnés à partir d’elle, hors toute teinture pour résumer. Je me souviens l’avoir entendu communément prononcer pour la couleur d’un manteau, d’un chapeau ou surtout de gants de cuir fin, lesquels pouvaient aussi être beurre frais — ultime hommage en forme de dernier soupir envers un certain attachement au dandysme ?

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Georges Perros – Papiers collés I :

« J’ai conservé, sans le vouloir, cette naïveté : quand j’ouvre un livre, j’aime que ce soit un livre. Je m’attends à de la littérature. La vie, c’est-à-dire les autres et moi, la vie me suffit pour le reste. Mais lire, si c’est pour s’y retrouver, autant vaut téléphoner à son voisin et passer une soirée baliverneuse. ».

Approbation sans réserve pour cette brève philippique contre la lecture baliverneuse, mais, selon moi, les soirées de la même eau, pour s’y substituer – et dans substituer il y a tuer – ne sont pas un remède.

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Lâcher du l’Est ! (lu dans la presse, sans rire)

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Il me fallut, il y a peu, faire preuve d’une certaine diplomatie et patience – un exploit – pour corriger un interlocuteur fort sûr de lui, selon qui le mot empirique dont il usa plusieurs fois dans le même élan phrastique – mais pourquoi donc ? – signifiait impératif ou impérieux, supposant, j’imagine, qu’empirique contenait empire, donc empereur, donc pouvoir abusif… et bla. Le dogmatisme de l’ignorance est épuisant !

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           Toujours la presse locale : « L’association La Traverse accompagne depuis plus d’un an, sous forme de résidences, les territoires pour étudier leurs enjeux et renforcer leur résilience. » Au moins une chose est juste dans cette bouillasse indigeste, son nom : La Traverse ne va pas droit.

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Alétheia : Vérité en grec, i.e, privation — a — de l’oubli — Lethé — nom du fleuve qui efface toute mémoire. Une sorte de double négation conforme – notamment – à la conception platonicienne de la Vérité : non pas tant ce que l’on trouverait ex nihilo (si l’on peut dire) que ce que l’on retrouve pour avoir combattu et/ou vaincu l’oubli. Deux fois niante, par privation et par oubli, la Vérité, au sens grec, a toujours quelque chose à voir avec l’affirmation en sa forme mathématique : moins par moins égale plus, rabâchait-on à l’école. Reprenons : quand la langue grecque dit Vérité — Alétheia — λήθειαelle nous dit, à la lettre près, a, de nous jeter à l’eau.

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Ponge appelle la radio – nous sommes en 1946 – la radieuse seconde petite boîte à ordures ! ce sont les derniers mots, qui déversent Tout le flot de purin de la mélodie mondiale.

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Félix Fénéon (toujours in Nouvelles en trois lignes) : « Mariés depuis trois mois, les Audouy, de Nantes, se sont suicidés au laudanum, à l’arsenic et au revolver. »

 Question : Un par mois ? ou les trois  en une fois ?

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Je rappelle qu’en français – à l’écrit, comme à l’oral, il n’y a pas d’exception – on accorde avec le complément direct (d’objet ou de personne d’ailleurs, au fait !) le participe passé d’un verbe conjugué avec avoir, pourvu, pourvu qu’il soit placé devant … Appliquer cette règle est infiniment plus simple que la formuler, puisqu’il suffit de dire « les courses que j’ai faites », « les décisions que j’ai prises » et autres de même farine ! instinctif et spontané, depuis le cp/ce1 on l’a appris, et révisé ensuite, pour la vie, je répète pour-la-vie. Hé bé, j’entends en permanence le manquement à cette trouvaille heureuse et raffinée de la grammaire française – y compris par ceux chargés de la transmettre. Je sais, je me répète, répète, répète … mais les fautifs aussi et ils se reproduisent.

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A une époque où certains se demandent pourquoi il faut encore lire les textes de l’Antiquité, il ne semble pas inutile de rappeler pourquoi il est encore possible de les lire.

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L’écriture inclusive passera : ainsi en fut-il du tutoiement révolutionnaire avec injonction d’appeler chacun « citoyen »

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Le désir de voir Naples a été érigé en proverbe, à l’échelle européenne, par Goethe. Ainsi écrit-il dans son Voyage en Italie : « Von der Lage der Stadt und ihren Herrlichkeiten, die so oft beschrieben und belobt sind, kein Wort. “Vedi Napoli e poi muori!” sagen sie hier. “Siehe Neapel und stirb!” »

 Sauf que, la traduction en italien ignore le jeu de mots qui consiste dans l’homophonie de « muori » – « meurs » – et « Mori » – un village à la périphérie de Naples …

Ne jamais, jamais, donner son blanc-seing à une traduction.

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On propose : Un atelier pour partager des idées et bâtir le centre-ville de demain. Donc, et si j’ai bien compris, il est question de construire (bâtir) un centre-ville dans un atelier. La coordination et autorisant le lien logique, chronologique et sémantique. Z’en ont pas marre d’écrire n’importe quoi n’importe comment pour mieux proposer le vide … en partage ! A cette fin, il faut s’inscrire auprès d’un(e) lambda ou d’un(e) quidam, qui, avec ses références, laisse ses titres : « manager de commerce à la communauté de communes » – beaucoup de c-o-m pour rien, non ?

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Tout or est déjà contenu dans le trésor

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(Chose promise : la parution, ce jour, de ces nouveaux mélanges etc., attendue avec impatience par Aurélie …)

« Ô très paisibles photographes » *

21 Octobre 2022 , Rédigé par pascale

 

Pour A.

Entre Richelieu et Descartes, j’avais rendez-vous avec les nuages.

Le premier disparut un peu avant le second, lequel je laissais à main droite, avançant tout devant, lentement.  Il n’est pas si facile, ni si prudent, de regarder le ciel en observant le sol ; des énergies telluriques se chargent de vous porter là où vous devez aller – par un impératif catégorique d’affectueuse nouure – tandis que votre esprit flânoche en bord de firmament. Ce jour-là, jour anniversaire de la naissance de Rimbaud – 168 ans et toujours 17 ans – les bleuités, les figements violets, le ciel rougeoyant, les immobilités bleues, * achevaient en mille élégances un été dramatique, chuchotant aux arbres étonnamment reverdis mille questions/Qui se ramifient, je voyais l’absence des oiseaux, j’entendais le silence, je suivais la ligne médiatrice des avions monter à la verticale dans le ciel bleu-turquin.

la main de la campagne me tenait par le cœur, le chœur des mots, calme et beau ; j’entendais au loin une cloche de feu rose dans les nuages. Et je passais un pont, un de ceux, ordinaires, qui protègent un peu les alentissements d’une eau millénaire que l’on croit d’un instant ; celui-là, aucun autre, qui vous fait vous arrêter, vous pencher au-dessus de cette eau qui n’est là que pour vous sous des ciels gris de cristal aux reflets bleus. Mais vous avez peut-être inversé les reflets. Le Cher est un cours d’eau qui porte bien son nom quand il passe en Touraine. Il glisse au pied des vals et des vallons, indifférents sauf au poète qui de vos forêts et de vos prés est démiurge quotidien. 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Le temps a pris la forme du large buffet sculpté, impassible dans son chêne sombre  le temps, un peu pongien aussi, puisqu’avec lui je tiens l’huître calée dans le creux de ma main, je veux dire qu’une fois ouverte, des ciels infinis et blottis contre un plafond nacré jouent à échanger mille verts pour un empire. Sous la treille éternelle, nous gobons des souvenirs, buvons le vin doré.

 

A l’aplomb de la ligne courbe et arborée qui sépare doucement le ciel de la terre incurvée, deux segments blancs coupent à angle acéré et droit le premier plan élargi, l’écran lumineux d’un petit théâtre d’ombres. Ce promontoire devant l’infini — observatoire de l’éternité, baignoire de méditations devant le ciel étoilé — pénètre en s’acuminant dans le paysage ; sur sa rampe, une main bienveillante déposa deux tasses simples et semblables, à moins qu’elles n’y fussent depuis la nuit des temps.

 

Démonstration a contrario d’une des plus célèbres leçons de la philosophie platonicienne. Le muret qui, dans la fameuse allégorie dite de la caverne,** le muret qu’on oublie un peu trop entre la paroi du fond et le soleil régnant en maître de vérité et en hauteur, nous y sommes. Nous y sommes très exactement. Il y a, dans le texte platonicien, des montreurs de marionnettes et des feux intermédiaires pour illusions d’une supériorité encore inaccessible à ce niveau. Ces « détails » ne sont pas souvent retenus, tant les lectures ont été simplifiées, si loin de l’original. Mais enfin, ils sont. Et nous avec. A cette différence déterminante près, qu’ici, les ombres sont, évidemment, plus réelles que la réalité même, qu’il n’y a point de vérité solaire, mais le déploiement de nuances infinies qui – malgré tout – nous dépassent ; ce « malgré tout » fait tout. Notre point de vue, le point de notre vue. Nos mots, la fabrique d’un silence aussi vrai que le ciel, à cet instant, contenait tous les mots de la langue.

*les mots ou expressions en italiques sont tous de Rimbaud, y compris le titre. **Rép. VII

        

Le pamphlétaire (suite).

17 Octobre 2022 , Rédigé par pascale

 

Quand il rentra en France, en 1812, après avoir servi de façon parfois distraite, il faut bien le dire, les armées napoléoniennes, il s'occupa de ses domaines, forêts, fermages, vignes, et ses affaires, vendre, acheter, recouvrer ses dus, toutes occupations auxquelles un propriétaire de province se devait de consacrer son temps, son argent et son énergie. Il tenait ses biens et sa fortune de son père qui les avait constitués au service du duc d’Olonne dont il avait été le lieutenant des chasses. On a peu repris, me semble-t-il, l’incroyable analogie de parcours entre le père et le fils, une sorte de réplication des destins, à ceci près que le père de Paul-Louis – Jean-Paul Courier – échappa à sa mort préméditée, alors que son fils fut réellement assassiné : huit ans avant sa naissance, se joua le 1er acte de la pièce dont Paul-Louis fut le héros tragique du second et dernier. Cela ne fut pas remarqué : Jean-Paul Courier, amant de la duchesse d’Olonne, aurait dû périr, sur ordre du mari jaloux, si le soldat soudoyé pour accomplir cet assassinat n’avait tourné casaque et dénoncé ce vil projet à la force publique. D’Olonne, tout duc qu’il était et mari trompé, mourut engeôlé pour avoir fomenté ce plan funeste, tandis que la duchesse fut recluse en un couvent d’où elle finit par sortir, et trépasser douze ans plus tard. En Touraine, soixante ans après sa naissance environ, Paul-Louis fut assassiné dans l’une de ses forêts, par le fusil de l’amant de sa femme – ou l’un de ses amants – jaloux du mari ombrageux. Un biographe taquin risqua, à propos de ce mariage avec la (jeune) fille d’un ami et érudit helléniste alors que Paul-Louis remettait sans cesse un voyage en Grèce qu’il désirait ardemment : « Il la demanda en mariage. Il l’obtint. Il l’épousa le 12 mai 1814. Il eût mieux fait d’aller en Grèce ». En effet. A moins que l’on y voie la résolution psychanalytique d’un destin complexe : il fut son père tué !

Retombons aux pamphlets, un genre foudroyant pour Marc Fumaroli, dont Courier est le maître incontesté, auteur magnifique d’insolences en langue et sel attiquesFumaroli encore – qu’il déroule depuis ses terres en direction des autorités locales mais pas seulement, au nom de sa qualité de Tourangeau – j’habite Luynes, sur la rive droite de la Loire – contribuable – Messieurs, Je paye dans ce département 1.314 francs d’impôts – suppliant – On recommande à vos prières le nommé Paul-Louis, vigneron de la Chavonnière – étonnant – L’objet de ma demande est plus important qu’il ne semble – sincèrement insincère – Monsieur, Je suis … malheureux ; j’ai fâché M. le maire ; il me faut vendre tout, et quitter le pays. C’est fait de moi, monsieur, si je ne pars bientôt – plaisantin et menteur audacieux – Nous possédons en manuscrit, et publierons, quand la censure sera rétablie, différentes brochures de Paul-Louis, toutes excessivement utiles et prodigieusement agréables – direct – Conseillez-moi, je vous prie, dans un cas extraordinaire. Je serai bref, la vie est courte. Toutes ces formules sont des premières phrases, des entames, des entrées. Courier, à la presque fin du Pamphlet des pamphlets (1824, soit un an avant sa mort) promet ce qu’il fait déjà depuis des années : Je serais la mouche du coche, qui se passera bien de mon bourdonnement. Comptons sur ce conditionnel initial – je seraiS, Courier n’a jamais aucune approximation d’écriture – pour comprendre que, pourvu qu’on le laisse écrire, pourvu qu’il le puisse, rien ne l’arrêtera, dût-il payer le prix de l’indifférence, elle est à la mesure de l’instant, tandis que le coche fait image pour le monde qui avance lentement Mais que de chemin il a fait depuis cinq ou six siècles !

Les occasions de pamphlets ou de correspondance pamphlétaire – sont aussi nombreuses que variées, et pourtant se ressemblent. Le ton, bien sûr, le style, à n’en pas douter, la vivacité, l’intensité, l’ironie, le culot, l’aplomb, la fausse modestie dont voici un des meilleurs échantillons : Courier est à Sainte-Pélagie [convaincu d’outrage à la morale publique et religieuse — il faut lire ce dossier, c’est un festival, un monument, une précellence, l’accusé devenant accusateur] il parvient, du fond de sa cellule à faire éditer sa version complétée du Daphnis et Chloé de Longus traduit par Amyot l’incontesté (1513-1593) – toute une histoire, il faudra bien sûr y revenir avec d’autres anecdotes savoureuses réservées. Il signe : « Paul-Louis Courier, Vigneron, Membre de la Légion d’honneur, ci-devant canonnier à cheval, en prison » !

Les qualités de vigneron et de paysannous autres paysans – et de peuple sont revendiquées par Courier, individuellement et collectivement, avec insistance. Il ne se reconnaît et ne reconnaît les siens qu’à cette aune, il s’en revendique, elles sont et font l’exacte contre-mesure à sa haine de tout nantissement, qu’il soit matériel ou immatériel comme on dirait aujourd’hui. Comprenons, qu’il s’agisse de biens, d’autorité, de pouvoir. L’époque lui fut – si l’on ose – généreuse, pour dénoncer tous les privilégiés et leurs privilèges, les courtisans et leurs singeries lamentables – chacun se lance ; non, : à la cour, on se glisse, on s’insinue, on se pousse – les méprisants et leurs mépris, pire leur indifférence – Sans humeur, sans honneur – mais moi, petit propriétaire, ici je taillerais ma vigne, sans crainte des honnêtes gens. Aussi il y a dans ses pamphlets de véritables chroniques de la vie rurale ; et revenir à des textes aussi tendres pour les paysans qu’intransigeants pour les maires, préfets, curés, ministres. L’un d’eux, mais l’un seulement parmi d’autres, la Pétition pour des villageois que l’on empêche de danser. (1822), n’a rien d’une fiction : dans la commune d’Azai par le passé on dansait le dimanche sur la place de l’Église. Ce que le préfet – souvenons-nous qui dota la France, et quand, d’un corps préfectoral – interdit. Tout simplement, parce que l’interdiction d’un préfet vaut pour elle-même. Nous, gens de Véretz, ne pouvons plus aller danser à Azai, dont les habitants sont nos meilleurs voisins. Mais depuis l’interdiction les violons et les gendarmes (viennent) en même temps. Suit un bref développement faussement savant sur l’instrument qui animait – jusqu’à l’opposition funeste – les parvis dominicaux pour s’achever, royalement, par cette affirmation aussi simple que casse-cou et même franchement imprudente, osons, culottée – nous dansons au son du violon, comme la cour de Louis le Grand. La comparaison a de quoi laisser coi même un gendarme d’Azai en 1822. Mais, Courier ne serait pas Courier s’il s’arrêtait là, et c’est exactement ce franchissement que l’on aime, admire et applaudit, il poursuit sans reprendre souffle ; aussi, il faut citer sans quoi on manque l’esprit, l’art, la manière Courier, l’authentiquement pamphlétaire qui ne s’arrête jamais à la première salve mais en a toujours une, et même plusieurs à venir  – dans son autre vie il fut canonnier  – : Quand je dis comme, je m’entends ; nous ne dansons pas gravement ni ne menons avec nos femmes, nos maîtresses et nos bâtards.

Ce qui ne l’empêche pas de glisser des questions véritablement politiques et graves sous les aspects les plus légers, incongrus, naïfs. Ici, celle de savoir quelle peut bien être la nature d’un pouvoir (d’un gouvernement) qui s’intéresse aux danses du dimanche dans les petits villages et demande à son préfet d’en rendre compte au ministre. Tout cela est beaucoup plus sérieux qu’il n’y paraît et va bien plus loin que le son du violon. Il s’agit aussi de se rencontrer, de boire ensemble, de parler, de jouer – au palet, à la boule, aux quilles ; on peut même y faire des affaires ; et des mariages. C’est l’antidote à la violence ordinaire qui se danse là. C’est une petite économie locale, c’est un mélange des générations au centre du village. Aussi, l’interdit de danser – qui dans sa grande hypocrisie n’est pas une défense de faire la fête – fut bravé par certains qui sortirent du village, pour danser quand même au bord du Cher, sur le gazon, sous la coudrette. Mais l’encre n’était pas encore sèche. Jamais Courier ne cesse sur une note nostalgique, jamais il ne s’arrête sur une désolation, ses plaintes sont accusatoires et non de geignements. Il pratique la dénonciation, non la complainte, ni le thrène. La danse sous la coudrette c’est-à-dire hors la place commune, excentrée du cœur battant du village, n’est qu’un pis-aller, pas même une consolation. Tout juste bonne pour une églogue. Tandis que chez nous, paysan ne rime pas avec pastoral, danser c’est manger une omelette au lard, dans le cabaret prochain.

Suit, dans la même pétition – mais qui n’était pas annoncé dans le titre – un développement truculent et hardi à propos des jeunes séminaristes qui confessent les filles sans qu’on y trouve à y redire. Mais ce serait trop de joie en une seule fois, non que l’on soit rabat-joie, c’est plutôt l’inverse. Mais Paul-Louis Courier, Vigneron, se boit à petites gorgées.

 

L’épistolier.

11 Octobre 2022 , Rédigé par pascale

 

Le point commun entre Viollet-le-Duc (Viollet-Leduc), Stendhal, Chateaubriand, Sciascia, Fumaroli, Sainte-Beuve, Robert Desnos est d’avoir cité nommément, à plusieurs reprises ou peu souvent, ce canonnier, vigneron, propriétaire, écrivain, helléniste. Surtout. Avant tout. Par-dessus tout, helléniste. Porteur d’un patronyme à ce point prophétique, oraculaire, préliminaire, prémonitoire à une consonne près, que personne n’ose le signaler en présentation : sa Correspondance fait la part belle à ses œuvres complètes. J’ai nommé, Paul-Louis Courier (1772-1825).Tourangeau en Italie, ayant échappé à plusieurs morts militaires, il succomba à un coup de fusil assassin, sur ses terres revenu.

Bougon et soupe-au-lait, irritable, procédurier, d’aucuns s’en réjouissent : il nous a donné, pour ces motifs, des textes effrontés, désinvoltes, sévères, très sévères à l’endroit du régime des nantis et autres privilégiés, irrévérencieux et satiriques ; Courier, fou de la langue et des textes grecs, qui faisait l’armée buissonnière et aurait donné son cheval pour un manuscrit ancien. Tant « soldat sans vocation et, par suite, sans ferveur » * qu’il pouvait rejoindre un régiment sans monture … ou, pour aller d’un poste à l’autre, prendre six mois – là où il fallait quelques jours – mais, que voulez-vous, il y avait en chemin, des bibliothèques avec des livres grecs ! Il frisa l’accusation de désertion, étant parti sans demander son reste pour rentrer en Touraine, on la lui évita de justesse ; ou envoya sa démission et partit avant de recevoir l’acceptation ; revint un peu plus tard sur cette demande ; réintégra l’armée ; manqua être tué et fut sauvé pour avoir ramassé « un rouleau de louis tombé de sa sacoche » **, son officier n’eut pas cette chance ; quelques mois plus tard – septembre 1799 – ce « déserteur par insouciance »** ignorant le danger pour cause de travail à la bibliothèque Vaticane, ne dut son salut que par l’intervention d’un ami ; de passage à Paris, il travaille à des traductions et rencontre des savants de sa trempe ; retrouve de temps à autre sa compagnie ; écrit tout ce qu’il pense de mal à propos de Bonaparte ; repart en Italie – 1804-1809- où il est à la fois le pire des officiers et l’homme le plus heureux et le plus libre ; l’édition de la BnF, dans la présentation de Coquelin, a cette formule : « fort partisan de l’équitation, telle qu’elle se pratiquait au temps de Xénophon » ; rien à ajouter.

Une de ses lettres les plus célèbres ou connues (mai 1804) – au destinataire non identifié – commence ainsi : « Nous venons de faire un empereur, et pour ma part je n’y ai pas nui. Voici l’histoire. » Suit un petit récit bien léché et ses presque derniers mots : « Voilà de nos nouvelles ; mande-moi celles du pays où tu es et comment la farce s’est jouée chez vous. A peu près de même sans doute. ». Il raconte : le colonel d’Anthouard ayant avisé son régiment de la chose, Courier rapporte son sentiment : « Un empereur ou la république, lequel est le plus votre goût ? comme on dit rôti ou bouilli, potage ou soupe, que voulez-vous ? » Après un moment de gêne, il prend la parole et prêche l’indifférence au nom de la volonté de la nation. Ce qui eut pour effet de rompre l’assemblée de sorte que chacun s’en fut. « On se lève, on signe, on s’en va jouer au billard. » qui était le seul enjeu valable. Car enfin « Bonaparte, soldat, chef d’armée, le premier capitaine du monde, vouloir qu’on l’appelle majesté. Être Bonaparte, et se faire sire ! Il aspire à descendre*** : mais non, il croit monter en s’égalant aux rois. Il aime mieux un titre qu’un nom. Pauvre homme, ses idées sont au-dessous de sa fortune ». Quelle férocité réjouissante ! il nous semble entendre déjà un certain Hugo …

Les courriers de Courier sont un régal, un délice, une friandise : ou comment être correctement fort incorrect et incisif ; l’art et la manière de l’aigre-doux poli et joliment maîtrisé par la pratique supérieure d’une langue astiquée aux textes anciens, l’air de rien. Quelques semaines après avoir essuyé de rudes batailles dans la région de Naples (lettre du 9 mars 1806, qu’il faudrait recopier tout entière), il écrit à une dame inconnue de nous, avec l’élégance indépassable de la fausse légèreté (ah ! plus personne de nos jours ne pratique cela – ou quelque rareté, bénie soit-elle !) : « Pour peu qu’il vous souvienne, madame, du moindre de vos serviteurs, vous ne serez pas fâchée, j’imagine, d’apprendre que je suis vivant à Reggio, en Calabre, au bout de l’Italie (…) » ; « car le peuple est impertinent ; des coquins de paysans s’attaquent aux vainqueurs de l’Europe ; quand ils nous prennent, ils nous brûlent le plus doucement qu’ils peuvent » ; et, enfin, redoutable, percutant, définitif : «  On ne songe guère où vous êtes si nous nous massacrons ici. Vous avez bien d’autres affaires : le cours de l’argent, la hausse et la baisse, les faillites, la bouillotte ; ma foi, votre Paris est un autre coupe-gorge, et vous ne valez guère mieux que nous. » ; à un général, en septembre de la même année, le remerciant de la chemise qu’il lui aurait offerte – on sent, à la lecture, comme une moquerie – Courier rapporte qu’il ne fallait pas qu’il se gênât pour lui, car de chemise, il en avait bien une, «  à laquelle il manque, à vrai dire, le devant et le derrière, et voici comment : on me la fit d’une toile à sac que j’eus au pillage d’un village (…) » qui fut peut-être volée mais rachetée pour un écu à un soldat. Cette anecdote recèle une dimension politique indéniable, pourvu qu’on ait (un peu) parcouru les pamphlets, un tantinet plus connus de cet admirable méconnu. En deux phrases ou plutôt en deux mots bien placés, nous savons et avons tout ce que Courier pense, qu’il dira par ailleurs, de la Révolution : je devins propriétaire (de ce morceau de toile) qui permit aux paysans d’accéder à la propriété – serait-elle très modeste – par l’abolition du système féodal et la vente des biens nationaux. Cette toile déchirée et acquise pour un écu, vaut plus que toutes les chemises neuves et propres qu’un Général pourrait offrir. Elle fait allégorie.

Une conviction aux développements parfois paradoxaux que l’on retrouvera dans les Pamphlets, une fois prochaine.

*in l’Introduction à ses Œuvres Complètes en Pléiade, l’un des volumes de la prestigieuse collection qui se serait le moins bien vendu, dit-on. ** Louis Coquelin, in Lettres écrites de France et d’Italie (Édi. 19e) – Hachette-BNF ***Corneille, Cinna II, I

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